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TOAST A L’EAU

Il s’est trouvé des Anglais qui prétendent que l’eau,
aussi bien que le vin,
peut servir à porter des santés au Roi.
(Journaux)


Ils viennent, nos amis Anglais,
D’en trouver une bonne.
O Bourguignons ! Écoutez-les,
Et vous, de la Garonne.

Selon quelques-uns, le vin n’est
Du tout indispensable
Pour trinquer au Roi. L’eau serait
Tout aussi recevable !

Dans quelle tête de tapir
En laine, et mal cardée,
A bien pu naître et se tapir
Une pareille idée ?…

Las ! Porter la santé d’un roi,
Messieurs de l’Angleterre,
Avec de l’eau, voyons !… Pourquoi
Pas avec un clystère ?…

Non, jamais cela ne s’est vu,
Jamais, pas même en rêve,
Quand ce serait le roi Ubu
Ou le roi de la Fève,

Qu’on ait de la sorte toasté ;
C’est une pure frime.
D’autres, de lèse-majesté,
Diraient que c’est un crime.

Essayez, pour voir, cet été…
Et qu’Edouard en réchappe,
Je dirai qu’il a la santé
Du Saint-Père le pape.


Depuis que notre aïeul Noé,
Ce patriarche digne,
Sur les coteaux de Gelboé (1)
Nous a planté la vigne,

Il n’est aucun breuvage, aucun,
Qui sur le vin prévale,
Pour porter un toast à quelque un
Fût-il même acéphale.

Donc, à plus forte raison, si
Ce quelque un est de marque,
Un sire de Couci-Coucy,
Qu quelque grand monarque…

Donc, le vin le plus radieux
Au roi le plus insigne…
Pour porter la santé des Dieux,
Le nectar seul est digne,

Est-ce que notre Président
Prit un verre…. D’eau claire,
- C’est-à-dire avec rien dedans, -
Pour boire à l’Angleterre ?…

Non, mais voyez-vous ce tableau,
O vignerons de France ?
Porter un toast avec de l’eau !
Je frémis, quand j’y pense.



RAOUL PONCHON
Le Journal
20 juillet 1903