6 oct. 2007

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SUR LA CÔTE D'AZUR
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A H. Delorme.


Delorme, voici l'hiver.
Faut sortir du vétyver
Nos skungs et nos zibelines,
Nos pelisses grand format.
Déjà les premiers frimas
Frimassent sur les collines.

Que dis-je ? Veux-tu gager
Que demain il va neiger
" Des plumes de tourterelle "
Non - de la neige - pardon.
Mais le piteux édredon
Que tu ferais avec elle !

Il est bien certain aussi
Que ce vilain temps-ci
Nous en avons jusqu'à Pâques :
Cela nous est garanti
Pa l'astronome averti
Qui est sur la tour Saint-Jacques.

*
* *


Alors quoi ! Partons tous deux.
Loin de ce Paris hideux,
Ainsi que les gens de marque.
On n'est non plus des râleux.
Eh bien donc faisons comme eux,
Pour que l'on ne nous remarque.

Prenons chez notre banquier
Un peu d'or et de papier ;
Et, par l'express de huit heures,
Dès demain nous serons sur
La Côte dite d'Azur,
- Les autres étant des leurres -


A Nice... à Monte-Carlo...,
Ou tel autre Eldorado,
En ces pays de Fortune,
Où l'on a vu des milords,
Gagner des ors et des ors,
Rien qu'en risquant une thune.

Mais nous, qui nous fichons bien
De centupler notre bien
Par de sûres martingales,
Et qui, par bonheur, encor
Préférons au bruit de l'or
L'humble chanson des cigales ;

Nous laisserons ces messieurs
A leurs jeux prestigieux,
Qui sont des travaux sans nombre,
Et, sur quel coteau clair
D'où l'on découvre la mer,
Nous irons rêver à l'ombre.

Sous quelque olivier dolent,
Je nous vois très bien enflant
Nos pipeaux rustiques - voire,
Qu'en penses-tu, mon fiston ?
Tracassant nos barbitons
Avec un plectre d'ivoire.


Si les cigales, là-bas,
Ne stridulent encor pas,
Tant pis pour nos bucoliques.
Ce n'est qu'un mince détail.
A défaut d'autre bétail
Nous charmerons les moustiques.

Ainsi donc, demain, c'est dit,
Nous partons pour le Midi,
A l'heure que j'ai fixée.
Mais, au buffet bien avant,
Tu peux me trouver, devant
Une absinthe bien tassée.



RAOUL PONCHON
le Journal
19 déc. 1910



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