6 oct. 2007

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LE REPAS RIDICULE
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Ces jours derniers, le Kaiser
recevant à sa table quelques-
uns de ses officiers, leur a dit :
" Messieurs, vous ne boirez
ici que des vins d'Allemagne. "
Journaux




En entendant ces paroles
Plutôt folles,
Ces vieux guerriers, chefs de corps
Et autres, firent en masse
La grimace,
Et se dirent : zut alors !


Ce n'est pas qu'ils aiment boire
Pour la gloire,
Leurs propres vins allemands ;
J'estime qu'ils ont des vignes
Assez dignes,
Ainsi que des crus charmants.

Mais, sans que je veuille en rire,
Je puis dire
Que le meilleur vin Teuton
Ne vaut pas, en l'occurence,
Vin de France
Pour parfaire un gueuleton.



Certe, à la première étape
D'une agape,
Passe pour un vin du Rhin,
Mais il n'est plus recevable,
Plus buvable,
Quand celle-ci va son train.

Un Johannisberg, sans doute,
Pure-goutte,
Un Liebfraumlich... je veux bien,
Se laissent, nommément, boire
Sans déboire.
Encore, ils ne cassent rien.

Les chablis et les sauternes
Sont moins ternes.
Quant au montrachet, d'honneur !
Qui de soleil vous pénêtre,
Il doit naître
Dans les vignes du seigneur.


Ils sont tous un peu les mêmes,
Pâles, blêmes,
Ces vins du Rhin ; sans esprit
Et froids comme jus de pomme
Disons comme
S'ils avaient été mûris

Sur leurs coteaux, à la brume,
Par la Lune.
C'est bien pourquoi les Germains
Sont beaucoup plus lunatiques
Flegmatiques
Que ces vieux Gallo-Romains.

*
* ..*

C'est ce que pensaient ces braves
De nos caves,
Déplorant la sombre erreur,
Le crime de lèse-table
Détestable,
De leur farouche empereur.

N'y pouvant rien, ils s'assirent
Donc, et firent
Contre fortune bon coeur,
Entamèrent la choucroute,
Somme toute,
Avec assez de vigueur.


C'alla bien pendant une heure,
La meilleure !
Les Hoscheimer, Pisporter
Dans leurs hanaps s'ordonnèrent,
Avec les Marcobrunner.

Ils burent ces ripopées
A lampées,
Sans se désespérer trop.
Mais ce fut une autre histoire,
- Veuillez croire -
Lorsqu'on apporta le rôt.

Ils eussent donné, je gage
Leur bagage,
De gloire et de grands cordons,
Leurs galons et leurs blessures,
Leur fressure,
Pour un verre de corton.


Le dessert fut plus encore
Incolore,
S'il se peut ; car gravement
On leur servit du champagne
D'Allemagne.
On ne sait quel lavement...

Voyant ça, ces vieilles brisques :
- " Qu'est-ce qu'on risque ?...
Maintenant qu'on a bouffé,
- Se dirent-ils à l'oreille -
Hein ? ma vieille.
Si nous changions de café ?... "


RAOUL PONCHON
le Journal
6 mai 1907


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