6 oct. 2007

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LE PRINCE-CONSORT
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Assieds-toi à ta place,
on ne te fera pas lever.
(Sagesse des Nations)



Jeune Heinrich-Wladimir-Albrecht-Ernest, ô prine
De Schwerin-Mecklembourg,
Tatzenbourg et Stargard, et cent autres provinces,
Et mille autres faubourgs,

Par la grâce de Dieu, te voilà sans l'être,
Et chaque hareng-saur
Te proclame, bien que tu ne sois, à la lettre,
Que le prine-consort !

Situation bizarre, éminemment batave !
Dans la combinaison,
C'est ta femme qui règne, et toi l'époux esclave
Qui gardes la maison.

Si par hasartd, devant un semblable programme,
Ton orgueil s'insurgeait,
Songe bien que tu n'es de la reine ta femme
Que le premier sujet.

Les Hollandais sont fous de leur petite reine ;
Il leur fallait un roi
Uniquement afin d'en avoir de la graine ;
Autant que ce soit toi.


Mais rappelle-toi bien qu'aux besoins de l'alcôve
Ton rôle est limité ;
Suffit que tu ne sois en pâte de guimauve
Dedans l'intimité.

Ne vas pas t'immiscer dans la chose publique,
D'abord tu ne sais pas.
Et contente-toi d'être un conseiller aulique
A l'heure des repas.

Laisse à ton gré ta femme auner ses territoires
Sans nuire à ses desseins ;
Tu pourrais quelquefois lui créer des histoires
Avecque ses voisins.

Laisse-la s'occuper des guerres, des négoces,
Au mieux de ses Etats ;
Toi, pendant ce temps-là tu moucheras les gosses
Dont vous aurez des tas.

Parbleu ! tu peux joue encor ton personnage,
Encore qu'effacé,
Et quand ce ne serait que les soins du ménage,
Ton devoir est tracé.

Reçois tes fournisseurs, va faire des emplettes.
D'avance elle t'absout ;
Veille à ton estomac, fais un brin de toilette
Et soigne tes dessous ;

Au fond, qu'est-ce que Wilhemine te demande ?
De faire sous son toit
Rayonner quelque peu de ta grâce allemande ;
Sois charmant et tais-toi...

Dis-lui, lorsqu'elle aura sa journée accomplie,
Heureuse de te voir :
" As-tu bien travaillé ? " Qu'en tes bras elle oublie
Les soucis du pouvoir.


Il t'arrivera bien quelque jour, c'est probable,
De te crever d'ennui :
Mais si consort qu'on soit, on ne saurait, que diable !
S'amuser jour et nuit.

Et cependant, dans ton existence de Lune
Et de sujétion,
Il doit se rencontrer, à mon avis, plus d'une
Âpre distraction.

Ainsi, prince, tout en dorlotant ta chimère,
Par exemple, tu peux
Jouer à la manille avec ta belle-mère,
Ou crever quelques pneus...

Tu peux te promener, chasser, fumer des pipes,
Boire du curaçao,
Que te dirai-je encor ?... arroser tes tulipes,
Bûcher ton piano...

Le tout est de savoir demeurer dans ta sphère :
Tel sera mon conseil.
Un proverbe le dit : la Lune n'a que faire
Où brille le soleil.



RAOUL PONCHON
le Journal
11 fév. 1901


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