.

.

.

MARDI-GRAS !

.

Le vrai bonheur c'est d'être heureux.
A. Gill.


LE CHOEUR

Hurlez, orgue de Barbarie ;
Eclatez, cornet à bouquin ;
Le vrai patron de la patrie
Aujourd'hui, c'est saint Arlequin :
Souvent République varie.


LE TENOR

Bien fol est qui s'y fie !


L'INTRODUCTEUR DES EMBASSADEURS

Allons, que partout l'on me foule
Du lampion et du drapeau ;
Que la cour en soit pleine toute :
J'en veux jusque dans mon chapeau.
Ma foi, pour ce que ça me coûte !


LA CAISSE DE L'ETAT

Je n'ai plus rien dans mon Tirard.


LE PRESIDENT

Et toi, fais-toi belle, bobonne,
Et surtout pas de corset noir,
C'est bon tout au plus pour la bonne
De Bourget. Nous avons ce soir,
Tu sais, le colonel Lisbonne.


LA PRESIDENTE

Les Portugais
Sont toujours gais.


LE SENAT

Dormons, dormons, tout le conseille :
Bienheureux le Père-conscrit
Que rien au monde ne réveille,
Pas même le charivari
Qui fait saigner toute autre oreille.


SARCEY

On dit que je n'ai pas d'oreilles ?



UN MEMBRE

Oui, dormons comme une marmotte,
Ou faisons un cent de piquet.
Quant à moi, rêvant de Lolotte,
Si je bouge plus qu'un paquet
Je veux bien n'être qu'une motte.


LE CHOEUR

Quand on est motte, c'est pour longtemps.


LE CONSEIL MUNICIPAL

La République nous appelle ;
Debout, Hovelacque, Vaillant ;
A toi la pioche, à moi la pelle :
Ce n'est guère qu'en travaillant
Qu'on fait une oeuvre, a dit Poubelle.


LE CHOEUR

Honneur à la Poubelle,
Et gloire au plus Vaillant :


LA CHAMBRE DES DEPUTES

Dans ce temple de Terpsichore,
Amis, donnons-nous du bon temps.
Buvons encor, vidons l'amphore ;
Et ceux qui ne sont pas contents,
Qu'on les fusille ou les décore.


LE CHOEUR

Les décorés
Sont adorés.


UN MEMBRE

Valsons, Wilsons, comme des folles,
C'est la consigne du moment,
Les paroles sont des paroles,
Pas plus. Et devant l'Allemand
Laissons flageoler nos guibolles.


HERBETTE

Faisons-nous plats comme des soles.


LES MINISTRES

Tremblons. Bismarkus nous regarde,
Vous savez bien que Bismarkus
Quoiqu'absorbé par sa bouffarde
A sa teutonicus,
Comme Bornibus, sa moutarde.


LES BATAILLONS SCOLAIRES

" Nous, nous sommes les soldats,
Et nous marchons au pas
Et souvent au trépas. " (Hervé.)


LA MAGISTRATURE COUCHEE

Rigoler, tel est le programme,
Tout à la joie ! En l'air la chair !
Nous l'achetons au kilogramme :
Aujourd'hui l'on a pour pas cher
De pleines chemises de femme.


LE CHOEUR

Les femmes, les femmes,
Il n'y a que ça.


UN MEMBRE, debout

A moi les gonzesses charnues ;
Les unes garderont leurs bas
Les autres seront toutes nues.
Ces messieurs qui n'en voudraient pas
Iront voir dans les avenues.


LE CHOEUR

Mad'moiselle, écoutez-moi donc ?


LE DIRECTEUR

Tripatouillons, mes chers collègues :
Le tripatouillage est un art.
Dût Bergerat faire en ses grègues,
Je tripatouille pour ma part
Le Shakespeare et les Valabrègues.


LE CHOEUR

Mais l'comble de l'art
C'est bien Sarah Bernhardt.


UN SAGE

Gloire éternelle au joyeux drille
Qui va de Bacchus à Vénus,
Et qui, pour plaire à sa GUENILLE,
A dans son lit du Clos-Paulus,
Dans sa cave une belle fille.


LE CHOEUR

Le vin, l'amour et le tabac,
Voilà le refrain du bivouac.


LE PHILOSOPHE

Quoiqu'en pense Sully Prudhomme
Dans son poème ténébreux
Qui m'a prucuré plus d'un somme,
" Le vrai bonheur c'est d'être heureux "
Ce fut vrai dès le premier homme.


LE CHOEUR

Et même avant.



RAOUL PONCHON
le Courrier Français
19 fév. 1888