10 oct. 2007

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ODE
Sur la Mort de Muller-Guillaume 1er

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Pyrame n’a jamais tant pleuré sur Thisbé,
*
Le père Grévy sur son gendre, *
Sarcey sur sa toquante et sur Tunis le bey,
Que tous nos journaux sur ta cendre,

O Guillaume ! D’aucuns même iraient, pour un peu,
Se noyer pour toi dans la Seine ;
Le pudique Univers, le fils aîné de Dieu
Trouve la Providence obscène ;

Le Gaulois, le Pays, le Soleil ne sont pas
Remis d’une aussi chaude alarme ;
Le Temps semble gémir sur son propre trépas,
Le Figaro n’est qu’une larme !

Allez-vous plonger pendant des mois entiers
Dans un désespoir Franco-Russe ?
O Gazettes, c’est bien comme si vous chantiez
Pour le précédent roi de Prusse.

Guillaume est mort ! Parbleu, depuis assez longtemps
Le diable attendait sa venue
- Depuis quatre fois vingt étés onze printemps. -
Puisqu’il est mort, qu’il continue.

- Il est mort, dites-vous, ne porte pas, bandit,
Sur lui ton regard téméraire -
Il est mort ! Je le sais, vous l’avez déjà dit,
Et qui vous prétend le contraire ?


Devons-nous pas aller à son enterrement
Aussi ? Les yeux voilés de crêpes ,
Moi, j’irais volontiers si j’avais un moment.
En attendant faisons des crêpes.

Il est mort ! c’est ainsi que tu l’avais rêvé
O mon âme, et j’en suis tout aise :
Que voilà du bruit pour un empereur crevé ;
Empereur ! la belle foutaise !

Ne sommes-nous pas tous empereurs, plus ou moins ?
Nous ne le laissons pas paraître,
Voilà tout, sauf le soir, entre amis, sans témoins ;
Nous le sommes ou pourrions l’être.

Un empereur est mort, un autre un peu moins bas
Arrive, mais - chose bouffonne ! -
Il est si maupiteux qu’il ne peut même pas
Nous maudire par téléphone.

Que sur le vieux Guillaume aille geindre Crispi
*
Et l’Italie (oùs qu’est ma loupe ?)
C’est parfait, mais que nous, des Français ?… sacrispi !
Ah ! Rendez-moi ma Guadeloupe !


On lui flanque à travers la figure, à présent,
Du César et du Charlemagne.
Lui César ! Allons donc ! Un César de Bazan,
*
Peut-être, et Bazan d’Allemagne !

Encor si ce Bazan, poilu comme Krao
*
Avait été l’un de ces êtres
Merveilleux devant qui l’Histoire fait : Ah ! oh !
On pourrait se mettre aux fenêtres.

Ou, s’il eût inventé - bonhomme très subtil -
La moindre des choses, ne fût-ce
Que le fil à couper le beurre ou… les chats, il
Se pourrait que touché je fusse.

Ce n’était qu’un bourreau, d’éventrer jamais las
Les peuples comme des poupées ;
Qui ne pouvait dormir que sur un matelas
Rembourré de têtes coupées ;

Un hussard de la Mort et du phylloxéra
Qui sentait la pipe et la botte,
Qui promenait la peste avec le choléra
Que le sang mettait en ribote ;

Un saligaud qui vint avec que ses troupiers
Aussi nombreux que les broussailles,
Me voler ma pendule et se laver les pieds
Dans les grandes eaux de Versailles.


Pour son DE PROFUNDIS chantons-lui lanturlu ;
Est-il donc tellement à plaindre ?
Un plus long désespoir serait hurluberlu
Comme de se jeter dans l’Indre.

Est-il mort de misère et sans famille, seul ?
Dévoré par un engrenage ?
Sur un champ de bataille oublié, sans linceul,
Est-il mort à la fleur de l’âge ?

Non. Ce vieux bonze est mort tellement rempli d’ans
Qu’il ne savait plus où les mettre,
Si gâteux, qu’il prenait - m’ont dit ses confidents -
Bismark pour un homme de lettre.

Il a fait plus d’enfants qu’il n’avait de cheveux
Sur sa royale tête blanche :
Et leur laisse à défaut de poumons très verveux
Du moins quelque pain sur la planche.

Il aimait trop la mort, c’est-ce qui l’a tué :
Il la humait comme la brise,
Et comme il s’y était d’avance habitué
Il l’a vu venir sans surprise.

Faut-il décommander pour cela nos soupers,
Nos spectacles, nos bals, nos fêtes ?
Est-ce qu’à tout jamais les lauriers sont coupés
En France, et les vendanges faîtes ?

Quoi qu’il en soit, messieurs, de ce vieil empereur,
Donnons la paix à sa mémoire
Et sachons regarder l’avenir sans terreur :
De ce pas allons rire et boire.

Il n’est que ce remède aux très grandes douleurs
Et qui de nous Français soit digne,
Et si sur ce vieillard il faut verser des pleurs,
Que ce soient les pleurs de la vigne !


RAOUL PONCHON
Le Courrier Français
18 mars 1888




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