10 oct. 2007

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La Bonne Cave
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Cette cave existe et appartient à
un de mes amis. Si je dis ma cave,
c'est à cause de ce principe : la cave
d'un ami est toujours votre... amie.



Ma cave est à coup sûr la reine
Des caves de la chrétienté ;
C'est la chapelle souterraine
D'une ancienne communauté.

Elle est sise au bout de la ville,
Loin des voitures, loin des bruits,
Dans un quartier aussi tranquille
Que l'eau qui dort au fond d'un puits.

Elle est longue au moins de vingt brasses,
Elle a des arceaux, des piliers ;
On y trouve encore des traces
De bas-reliefs très singuliers.

C'est ainsi qu'un d'eux représente
Deux moines s'efforçant en vain
De scier - besogne plaisante -
Un verre - on suppose - de vin !

Comme si le bizarre artiste
Avait prévu que ce séjour
En quelque siècle anabaptiste
Deviendrait une cave un jour.

Sous cette obscure et digne voûte,
A cinq mètres de profondeur
Le vin se dore et se veloute
Avec une sage lenteur.

Un frais parfum de violettes
Me monte au nez quand j'y descends ;
Je ne sais pas de cassolettes
Où brûle un plus suave encens.


La chapelle a donc, par le diable !
Toujours sa destination ;
Et plus d'un saint considérable
Y reçoit ma dévotion.

D'une arachnéenne dentelle
Leurs bienheureux corps sont couverts
Et je vois leur âme immortelle
Qui s'épanouit au travers.

Ils sont là, dans des tabernacles
A l'abri de l'humidité ;
Quelques-uns me font des miracles :
Je vous le dis en vérité.

Comme je dis mes patenôtres
Au moins cinq ou six fois par jour
Cela fait que ces bons apôtres
N'attendent pas longtemps leur tour.

Souvent brusquement je m'arrête
Après ces deux seuls mots : O vins !
Ne trouvant nuls mots dans ma tête
- pour les prier - assez divins.

Je bois, leur grâce dans moi tombe
M'emplissant tout le coeur de miel,
Et ma foi comme une colombe
Monte doucement vers le ciel.

Quelquefois aussi je trébuche
En remontant mon escalier,
- Le démon me tend une embûche -
Mais je sais le congédier.


Et voici la façon, la seule
De le chasser au grand galop ;
C'est de lui vomir sur la gueule
Tout le vin qu'on a bu de trop.



RAOUL PONCHON

le Courrier français
25 mars 1888





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