4 oct. 2007

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LE VIN DE FRANCE
et l'eau de Lourdes

Que de vin ! que de vin !
Mac-Mahon.




Il y aura, cette année,
Une innombrable vinée
De vins généreux et prompts,
Mais qui sera décevante
- A cause de la mévente -
Pour nos braves vignerons.

Vous l'entendez, ô mes frères !
Le vin, en ces temps contraires,
Ne trouve pas d'acquéreur !
La Faculté le condamne ;
Pour telles mâchoires d'âne,
Il passe pour une... erreur !

Une erreur, lui ! le remède.
Lui, que versait Ganymède
*
Dans la coupe d'or des dieux !
Une erreur ! Est-il possible ?
Non. Ce serait trop risible,
Si ce n'était odieux.

Las ! et tandis que des cuves
Se dégagent les effluves
Du bourgogne et du bordeaux,
De pâles neurasthéniques,
D'un tas d'idiots chroniques
Répondent les villes d'Eaux.

Une erreur, le vin ! Misère !
Le vin parfait, nécessaire !...
Avec ça que le Très-Haut
Fait pousser en abondance
Les vignes dans notre France
Pour que nous buvions de l'eau !

Mieux que ça. Sombre délire !
On nous raconte sans rire
Les miracles opérés
Par l'eau fréquentée à Lourdes !
Ineptes et vastes bourdes
Dont profitent les curés.

Vous connaissez, j'imagine,
Cette effroyable piscine
Où toute une humanité
Pullule - disons purule.
Pour en sortir sans macule,
Faut avoir une santé.

Est-il rien de pire au monde
Que cette baignoire immonde ?
Dîtes-leur donc, ô docteurs !
En de définitifs termes,
Qu'autant vaut prendre ses thermes
Dans les égouts collecteurs.

*
* *


Laissez-là ces limonades,
Et, croyez-moi, chers malades :
Essayez du vin. D'autant
Qu'il guérit tout. Je vous jure.
Ce serait lui faire injure
Que d'en douter un instant.

Je ne parle pas d'en boire,
Ne voudriez pas me croire.
Mais sachez bien que le vin
Est bon pour l'usage externe
Aussi bien que pour l'interne,
Et qu'il est à toutes fins.

Il vaut tous les cataplasmes,
Il pompe tous les miasmes
Qui vous poisonnent le corps ;
Permet aux paralytiques,
Aux mourants les plus critiques,
De recommencer leurs sports.


Tenez, pendant que j'y pense :
Les aveugles de naissance
N'ont qu'à se bassiner l'oeil
Avec quelque vieux bourgogne
Pour entendre, de Boulogne,
Sonner l'heure, dans Auteuil.

Voire, les bossus eux-mêmes,
Sur lesquels pleut l'anathème.
Rien qu'avecque du bordeaux,
Tout aussitôt se dégibbent,
Pour si peu qu'ils en imbibent,
Leur tant exécrable dos.

O magnifique spectacle !
Le voilà, le vrai miracle
Et le merveilleux effet
Du vin ! et, dans cette affaire,
La Vierge n'a rien à faire,
Sinon constater le fait.

Chaque vin a son empire.
Il n'est pas, ça va sans dire,
Jusqu'à ce raisin têtu
Qui croît sur les toits du Louvre,
Dans lequel on ne découvre
Quelque estimable vertu.

Enfin, essayez, vous dis-je,
Et vous verrez ce prodige.
Mais je suis le Roberto
Qu'on ne croit pas, l'apostole
Qui dit la bonne parole
Et qui clame in deserto.



RAOUL PONCHON

le Journal
30 sept. 1901


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