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Le Fauteuil de Cambronne

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On sait que le général Cambronne faisait de la tapisserie, sur ses vieux jours.
Le Musée de l'armée vient de refuser un fauteuil tout entier brodé par ce vieux lapin.
(Journaux)
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Ainsi donc, mon brave Cambronne,
Toi, notre joie et notre orgueil,
Ils refusèrent ton fauteuil
Que tant de prestige environne.

Ce fauteuil où tes pauvres mains,
Lasses de servir ta patrie,
Tracèrent des lignes fleuries.
Ah ! les cochons ! les inhumains !

Mâtin ! ils sont bien difficiles.
On les a vus plus accueillants
Pour des objets moins sémillants,
Combien de fois, les imbéciles !

Et leur farfichu muséum
N'est-il pas plein de roustissures
Et d'ordures et d'épluchures
Incataloguables ? Hum, hum !...

Il n'y a pas longtemps encore,
N'ont-ils pas reçu tout à trac
Je ne sais plus quel bric-à-brac
Que son inanité décore ?...

C'est un exécrable képi
Flapi, gauchi, qui ne ressemble
A rien, et sur lequel il semble
Que trente chats ont fait pipi ;

C'est une loque neutre, terne,
Une tunique, si l'on veut
De pompier d'Ecoute-s'il-pleut...
Un je ne sais quoi qui consterne.

A quel héros, que daïmio,
Ou de jadis ou de naguère,
Servirent ces harnais de guerre ?
Ah ! Seigneur ! povero mio !

Sachez que ces frusques ineptes
Sont d'un aussi rare guerrier
Qu'est un lapin dans son terrier.
Ces misères que tu acceptes,

O muséum ! en vérité,
Relèvent du carreau du Temple ;
Quant à moi, quand je les contemple,
Je crains pour la neutralité.

Sans doute, mon pauvre Cambronne,
Pour nos beaux messieurs d'aujourd'hui,
En qui nulle gloire n'a lui,
Et que la sottise éperonne,

Tu es un héro aboli,
Tes actions chevaleresques
Leur paraissent don-quichottesques,
Dignes d'un étrange oubli.


C'est d'une bien autre équipée
Que rêvent ces monstres d'orgueil.
Pourquoi prendraient-ils ton fauteuil ?
Ils refuseraient ton épée !

Tu ne fus qu'un brave soldat,
Qu'est cela ? c'est bien peu de chose.
Aujourd'hui, c'est presque - si j'ose -
Manière de crime d'Etat.

De plus, sache que pour ces tourtes,
Raseurs fougueux et long-parleurs,
Bien que meilleures que les leurs,
Tes phrases furent un peu courtes.

Parbleu ! puisqu'il en est ainsi,
Encore une fois, ô Cambronne,
Bien mieux que l'on fait en Sorbonne,
Parle-leur d'un style concis,

A ces abrutis, à ces traitres.
C'est bien le cas, mon général,
Du haut de ton séjour astral,
De leur dire : Zut ! en cinq lettres.


Raoul Ponchon
le Courrier Français
15 mai 1904