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LA CHEVALIERE DU FOUET
(CONTE FUTUR)
.(CONTE FUTUR)
Sunt quos curriculo pulverem olympicus Collegisse juvat.
HORACE
Ces jours-ci, je hélai dans la rue un cocher.
Elle était fort jolie, à ne rien vous cacher.
- Rassurez-vous, lecteur, et vous de même chère
Lectrice, ce cocher était une cochère.
- " Où nous allons, patron ? " - demanda-t-elle. Et moi
J'eus envie, un instant, de répondre : " Chez toi. "
Et puis, je me retins. - " Où vous voudrez, lui dis-je. "
- All right ! - Je montai donc près de ma callypige,
Sur le siège, avec son consentement muet.
Cocotte s'activa sous un bon coup de fouet.
Et nous voilà partis. Alors nous devisâmes,
L'automédone et moi, tout comme deux soeurs âmes,
Ou mieux, je la laissai parler, me tenant coi.
Elle me raconta tout d'abord comme quoi
Elle fut, tout enfant, au barreau destinée
Par son père, avocat, une brute obstinée.
Elle avait donc pris trois ou quatre inscriptions,
Pour lui faire plaisir. Mais sa vocation
L'appelait à conduire un char dans la carrière.
C'avait toujours été son désir de derrière
La tête. Et maintenant que le père gisait
A Montparno, voilà qu'elle réalisait
Son rêve. Et comme il n'est ni carrière ni char,
de nos jours, elle avait pris un fiacre - à l'instar.
Elle me dit encor son pauvre coeur de femme
Déçu depuis longtemps par l'homme atroce, infâme.
Maintenant, elle était bien décidée aussi
A faire abstraction de nous. Ah bien ! merci !
Enfin, sous ses nouveaux chapal et redingote
Elle ne voulait plus rien savoir. " Hue ! Cocotte ! "
Et Cocotte trottait d'un trot bien peu normal.
Ma cochère, au surplus, conduisait assez mal.
Et cela nous valut mille et une aventures :
Nous fournîmes plus d'un embarras de voitures ;
Parfois même on nous vit rouler sur le trottoir
Et ce qu'on nous cueillit, partout, il fallait voir ;
Quant à moi, maint propos plaisant à mon adresse
Ne m'épouvantait pas, étant à la redresse.
C'est pour Elle surtout que cela m'embêtait.
La foule, connaissant que mon cocher était
Une femme, allait s'acharnant sur la mignonne.
Et - cela s'imposait - l'appelait Collignonne.
J'avais bien tort de me frapper, car tôt bientôt
Je vis que ma compagne était des plus " costeau ",
La fonction créant l'organe. A cette foule
Elle sut démontrer qu'elle était " à la coule ".
Et nous roulions toujours. Tout à coup, Elle dit :
- " Je m'en vais relayer, patron. Il est midi.
J'ai faim, Cocotte aussi. " - " Bon ! qu'à cela ne tienne !
Nous allons déjeuner ensemble, eh oui, pardienne.
Je n'ai pas terminé mes courses, tant s'en faut.
Je connais un endroit superbe et sans défaut.
En plein Paris on se croirait à la campagne.
Et Cocotte aura sa bouteille de Champagne.
Ca va-t'il ? " - " Oui, ça va. "
Le repas fut charmant
Je lui fis redresser son premier jugement
Sur les hommes, entre la poire et le fromage ;
Elle consentit même à leur rendre un hommage,
Au café !
Nous voici repartis. Tour à tour,
On nous vit à Montmartre ainsi qu'au Point-du-Jour,
Aux boulevards, au Bois, que sis-je ?... à la Villette...
Ma chevalière était à cette heure drôlette,
Et Cocotte un peu sôule. On le serait à moins.
Ah ! nous nous moquions bien maintenant des pévouins !...
Un moment, nous trouvant par hasard dans la rue
De la Paix, où toujours une foule se rue,
J'offris à ma compagne un collier de trois rangs
De perles, et du prix de trois cent mille francs ;
Mais elle n'accepta que quelques bagatelles :
Soit un chapeau d'été, pour Cocotte - en dentelles
Plus un fouet en bois d'amourette, à pomme d'or,
Et je ne sais trop quoi de plus modeste encor.
Tout à coup, la nuit vint implacable, subite.
Dieu ! que ton taximètre, ô Temps, fonctionne vite.
Or, l'enfant, derechef parla de relayer.
" Tout à l'heure, lui dis-je. Allons d'abord dîner.
Après quoi nous irons, si tu veux, au théatre.
- Aimes-tu le théatre ? " - " Oh ! moi, je l'idolâtre ! " -
Tôt après, dans un cabinet particulier
Nous étions face à face avec le sommelier.
Elle dîna fort peu, mais moi, comme un vampire ;
Et nous bûmes des vins qui dataient de l'Empire.
Plus tard, comme elle était bien de cet avis-là,
Nous fûmes voir jouer la Vierge d'Avila,
Que nous goutâmes fort. Puis, fini le spectacle,
Vers les minuit un quart, n'y trouvant plus d'obstacle,
Nous allâmes tous deux - chez Elle - relayer
Non sans avoir soupé - vous avez beau railler !
Ce n'est qu'au lendemain de ce jour, veuillez croire
Que mon automédone eut son petit pourboire.
RAOUL PONCHON
le Journal
19 nov. 1906
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