11 oct. 2007

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Le Pippermint
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On m'a pu rencontrer, certe,
A des tables de café,
Devant une liqueur verte
Dont je paraissais coiffé.

Là-dessus, c'est des gens braire
Que je suis absinthé :
O parole téméraire !
Jugement précipité !

Moi m'absinther ! Vierge sainte !
N'en déplaise à mainte et maint
Ce qu'ils croient être une absinthe
N'est autre qu'un Pippermint !

Comment peut-on les confondre ?
Il faut être aveugle et sourd...
Prendre les brouillards de Londre
Pour ton jardin, Luxembourg.

L'absinthe est d'un vert macabre.
Tout oeil se fane à la voir
Et tout estomac se cabre
A ce vin de désespoir.

L'absinthe, la misérable,
Se trouble au contact de l'eau :
Faut-il qu'elle soit coupable ! ...
Eloignez-moi ce tableau.

Tu vroirais voir dans ton verre
- Verdâtre et calamiteux -
L'affreux masque de Voltaire
Et ton sourire hideux.


le Pippermint, au contraire,
A peine est-il dilué,
Qu'en une émeraude claire
Il est aussitôt mué.

C'est le vert de l'espérance
sans rien de fallacieux,
Le vert des côteaux de France
Qui vous rafraîchit les yeux.

L'absinthe est la vieille rêche.
Le Pippermint a vingt ans.
L'une c'est l'hiver revêche,
Et l'autre c'est le printemps !

Mais à quoi bon poursuivre...
Trêve de comparaison ;
C'est comme mourir et vivre,
L'une a tort, l'autre a raison.

Pippermint ! boisson charmante
Fraîche comme l'eau des puits,
Délicat extrait de menthe
Incomparable aux déduits !

Tu requinques les malades,
Exaltes les bien portants.
On peut te boire en rasades,
En petits verres, d'autant.

Digestive apéritive
On peut te boire en tout temps,
Que dis-je ? liqueur active,
Tu guéris du mal de dents.


Une mère de famille
Bien loin de refuser
Doit l'ordonner à sa fille,
Sans toutefois abuser.

Las ! pourquoi moi, triste fauve,
T'ai-je si tard connu ?
Je ne serai pas si chauve,
O Pippermint ! devenu.

Mais, si tu ne fus pas nôtre
Dès le principe, je peux
Te recommander aux autres,
Te léguer à mes neveux.

Qu'on ne vienne plus me dire
Que je me livre à l'absinthe ;
C'était bon avant l'Empire,
Aujourd'hui, je pipperminte.


RAOUL PONCHON
le Courrier Français


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