9 oct. 2007

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La soupe à l'oignon
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Quel est ce bruit appêtissant
Qui va sans cesse bruissant ?

On dirait le gazouillis grêle
D'une source dans les roseaux ,
Ou l'interminable querelle
D'un congrès de petits oiseaux .
Mais celà n'est pas. Que je meure
Sous des gnons et sous des trognons ,
Si ce ne sont pas des oignons
Qui se trémoussent dans du beurre !
Hein ! qu'est-ce que Bibi disait ,
Et ce bruit sent bon - qui plus est .
C'est à vous donner la fringale .
Traitez-moi de syndic des fous ,
Je n'en connais pas qui l'égale .
" Et pourquoi faire - direz-vous -
Met-on ces oignons dans le beurre ? "
Pourquoi faire ?...triples couyons ,
J'espère...une soupe à l'oignon .
Vous allez voir çà tout à l'heure !


Je m'invite, n'en doutez pas,
Et j'en veux manger, de ce pas,
A pleine louche, à pleine écuelle...
Ne me regardez pas ainsi ,
C'est ma façon habituelle .
La soupe à l'oignon, Dieu merci !
Ne m'a jamais porté dommage.
Ainsi, la mère, encore un coup ,
Insistez, faites-en beaucoup ,
Et n'épargnez pas le fromage .



Elle est prête ?... Alors on s'y met.
O simple et délicat fumet !
Tous les parfums de l'Arabie
Et que l'Orient distilla
Ne valent pas une roupie
De singe, auprès de celui-là.
Et puis !....quel fromage énergique !
File-t-il , cré nom ! file-t-il !
Si l'on ne lui coupe le fil ,
Il va filer jusqu'en Belgique !


On me dirait dans cet instant :
" La fortune est là qui t'attend
Laisse là ta soupe et sois riche "
Que d'un cran je ne bougerais .
Qu'elle m'attende, je m'en fiche !
En vérité, je ne saurais ,
Quand elle passerait ma porte ,
Manger deux soupes à la fois,
Comme celle-ci. Non, ma foi.
Alors, que le diable l'emporte !
Assez causé. Goûtons un peu
Cette soupe, s'il plaît à Dieu !
Cristi ! Qu'elle est chaude, la garce !
Autant pour moi ! Où donc aussi ,
Avais-je la cervelle éparse ?
Sans doute entre Auteuil et Bercy...
Elle ne m'a pas pris en traître
Sais-je pas sur le bout du doigt ,
Que toute honnête soupe doit
Etre brûlante ou ne pas être ?



Qu'est-ce à dire ? Je m'aperçois
Que j'en ai repris quatre fois.
Parbleu ! je n'en fais point mystère .
Mais j'en veux manger tout mon soûl .
Quatre fois ! peuh ! la belle affaire !
J'en reprendrais bien pour un sou .
Dussé-je crever à la peine ,
Je n'aurais garde d'en laisser .
Et ne croyez pas me blesser ,
En m'appelant " vieux phénomène "...
Allons , bon !...Il n'en reste plus !
Et bien , alors , il n'en faut plus .
Ayons quelque philosophie.
Une soupe se trouvait là...
Elle n'est plus là...C'est la Vie !
Que voulez-vous faire à celà ?
La soupe la plus innombrable
Finit tôt par nous dire adieu .
Et je ne vois guère que Dieu,
Finalement, de perdurable .



RAOUL PONCHON
le Courrier Français
13 oct.1895
Muse au cabaret





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