26 sept. 2008

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CIRCUIT EUROPEEN
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Ils sont partis dans le ciel bleu,
Nos aéroplanistes.
Nous fûmes émus, et pas peu.
Le Seigneur les assiste !


" Nous sommes hommes, ont-ils dit,
Nos pieds sont en dentelles,
Mais aussi des oiseaux, pardi !...
Voyez plutôt nos ailes ! "

Là-dessus, ils ont pris leur vol
Sur ces ailes dociles,
Tandis que nous restons au sol,
Comme des imbéciles.

Déjà les plus vastes forêts
Sont pour eux champs de seigle.
Ils sont, vous pensez bien, tout près
Des vautours et des aigles.

Ils échappent, en cet essor,
A nos cités infâmes ;
C'est à peine s'ils voient encor
Les chapeaux de ces dames.

Tels des marquis de Carabas,
Un âpre orgueil les mène ;
Là-bas, et puis plus loin, là-bas,
C'est toujours leur domaine.


*
* ...*

Ne chantons pas d'alléluias
Ni d'actions de grâces.
Il est encor trop d'aléas
Dans ces libres espaces.

Ne meurt-on pas assez déjà ?
Mais ils n'y songent guère.
Jamais rien ne découragea
Ces héros non vulgaires.

Et si, parfois, tel reste un plan
Dès une étape faite,
Bientôt il reprend son élan
Et brave la tempête.

Trouveront-ils un jour la loi
Du vol des hirondelles ?...
Je ne sais ; mais ils ont la foi
Qui fait pousser des ailes.


*
* ...*


Je ne suis pas de ces messieurs
Disant, en leur délire :
" Grâce à ces oiseaux précieux,
Un âge d'or va luire.

" Plus de querelles entre Etats,
Partant, plus de frontières.
Les peuples ne feront qu'un tas...
Et nous serons tous frères ! "

Braves conquistadors de l'air,
Ce serait votre ouvrage !
Mais, sur notre terre d'enfer,
Les peuples, dans leur rage

Et dans leur crétinisme épais,
Ne se serviront guère
De votre bel oiseau de paix
Que comme outil de guerre.


RAOUL PONCHON
le Journal
19 juin 1911

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