27 sept. 2008

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ORIENTALE
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Au docteur Gueneau de Mussy


Un gros pacha, dernièrement,
Arrivait dans la Capitale,
Et prenait un appartement
Qu’il meublait à l’orientale.

Disons qu’il avait avec lui
-Rapport aux mœurs mahométanes -
Un bon quarteron de sultanes,
Pour bercer un temps son ennui.


Or, un jour de cette décade,
Une d’elles tomba malade.
Voilà notre homme en grand souci.
A ses yeux, le monde noircit.
Il courut chez le prochain mire,
Qui, par hasard, et Dieu merci !
Etait un de ceux qu’on admire,
Le Docteur Gueneau de Mussy.

Le temps de passer sa pelisse,
Et celui-ci fut, dans l’instant,
Avec le Turc, chez l’habitant
Qui réclamait ses bons offices.

- « Voyons, je suis un peu pressé.
C’est assez comme ça causé,
Montrez -moi plutôt le malade. »
- « Le malade est une malade,
Fit notre Turc. Mais mon devoir
Est de ne pas la laisser voir,
Car, en vérité, c’est ma femme.
Et dame ! une femme, chez nous,
Ne se fait voir qu’à son époux.
Mais, sous cette étoffe qui flotte,
Elle va montrer sa menotte ;
Vous pourrez lui tâter le pouls. »
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- « Sa menotte ! Je n’en ai cure,
Je veux voir aussi sa figure
Et toute son architecture.
Je ne sais pas soigner les gens
Qui sont, pour ainsi dire, absents.
Tu ne veux pas que je la voie,
Ta femme ? eh ! bien, adieu, bonsoir,
Et que Dieu la maintienne en joie !…

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- « Allons, reste. Tu vas la voir,
Puisqu’il le faut - reprit notre homme.
Qu’est-ce que je demande, en somme ?
Que ma femme se porte bien…
Regarde, la voici qui vient. »
Et le docteur vit une frisque
Accorte et fringante odalisque.
Dès la première question,
Il connut qu’elle était malade
D’une simple indigestion
De quelque horrible marmelade
De rose… Alors, il dit : « Voilà :
Il faut purger cette enfant-là.
Ce soir, elle sera guérie.
Pourtant, je reviendrai demain,
Mais par pure galanterie. »


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* ...*



Ce qui fut fait. Le lendemain,
Notre docteur arrive et sonne
Chez le Turc. - « Eh ! bien, la personne ?… »
- « Toutes vont très bien, grâce au ciel ! »
- « Toutes ? Pourquoi ce pluriel ? »
- « C’est que j’ai vingt-quatre autres femmes.
Ainsi le Coran le réclame.
Elles sont derrière ce dais,
A la même enseigne logées.
Hier, pendant que j’y étais,
Je te les toutes purgées. »



RAOUL PONCHON
Le Journal
10 janv. 1905
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