25 sept. 2008

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Le repas des monstres
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Lorsque j’arrivai dans l’étable
Tous les monstres étaient à table.
Spectacle atroce, épouvantable.

Et je pus voir là réunis
Des êtres fols, indéfinis,
Embryonnaires, pas finis ;

Tenant de l’homme et de la bête.
Faune défiant toute enquête.
Oh ! ma tête, ma pauvre tête !


Métis, nègres blancs et jumarts.
Hommes-chiens, femmes-léopards.
Tels qu’en les pires cauchemars


Chacun avait pour sa biture,
Son adéquate nourriture,
Celle qu’il aime et qu’il triture.

Barnum en surveillait le cours,
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Et disait : mangez, mes amours.
Vous êtes beaux comme le jour
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Alors je vis que l’homme-autruche
Se nourrissait de clous, de bûches,
De tessons de verre et de cruche.

Et de même l’homme-serpent
Dégustait, en gourmet savant,
Un succulent lapin vivant.

Un monstre, et non des moins macabres,
Avalait des lames de sabre
Sans que son estomac se cabre.

Un autre, de goût différent,
Mangeait un rat récalcitrant.
Et l’homme-chien mâchait du bran.


Le pétomane, âme peu fière,
Mangeait de façon ordurière,
C'est-à-dire avec son derrière.
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Que mangeait-il ? des haricots,
Qu'il lançait ensuite aux échos
Avec ses appareils buccaux.

Une ogresse effroyable et rousse
Dévorait le petit Tom Pouce,
Tout en croyant sucer son pouce.

Tandis, qu’ayant de l’amitié
Pour elle, et bien qu’estropié,
L’homme tronc lui faisait du pied ;


Et que le monstre mastodonte
Lui prenait pour son propre compte…
Beaucoup plus que je n’en raconte,

Que dégoûté de ce qu’il voit,
L’invalide à la tête de bois
Rôtait sur les deux Siamois…

* *

Bientôt je quittai cette turne
Écœuré, torve et taciturne,
Me croyant tombé de Saturne.

Puis, je me dis : Bah ! après tout
Pourquoi prendre un air de dégoût ?
C’est à peu près ainsi partout.



RAOUL PONCHON

le Courrier Français - 08 déc. 1901

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