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LE SAMEDI ET LE DIMANCHE
(CONTE)
(CONTE)
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" Ta foi me parait respectable,
Respecte donc la mienne aussi."
Cela n'a rien d'incontestable,
Témoin l'histoire que voici :
Un jour, deux amis, deux compères,
Allaient, devisant, n'importe où,
- Le lieu ne fait rien à l'affaire, -
Mettons entre Rome et Chatou.
Dirai-je, dans mon reportage,
Sur quoi roulait leur entretien ?...
Il n'importe pas davantage.
L'un était juif, l'autre chrétien.
Ils disputaient à perdre haleine,
Les yeux perdus au firmament,
Comme si la céleste plaine
Leur eût fourni maint argument.
Si peu préoccupés, en somme,
Du sol foulé, que, tout à coup,
Tel l'astrologue du Bonhomme,
Le juif tomba dans un grand trou.
Le chrétien dit : "Miséricorde !
Mon camarade, attends, attends ;
Je vais te chercher une corde,
Espère-moi quelques instants."
" Non, non, que le ciel s'écrabouille !
C'est jour de Sabbat, pensez-y !
Dieu ne veut pas que je me grouille,
En un jour comme celui-ci.
" Je vais donc rester en prière
Tout le jour et toute la nuit,
An sein de cette fondrière
Et loin de tout profane bruit."
" Après tout, cela te regarde,
Et non pas moi, fit le chrétien.
Que le Seigneur t'ait en sa garde !
Allons, bonsoir. Porte-toi bien. "
*
* *
Or, le lendemain, au plus vite,
Notre chrétien, bien reposé,
Courut vers son israëlite
Sans doute moins favorisé.
Il se pencha sur l'ouverture :
" Eh bien ! comment ça va, l'ami ?
Ta paillasse était un peu dure,
Ou peut-être as tu bien dormi ? "
" Très bien, très bien. Trêve d'exorde,
Dit le pauvre homme, pas très fier.
Maintenant, jette-moi la corde
Que tu me proposais hier... "
" Oh ! oh ! tu veux rire, sans doute.
Hier, j'ai respecté ton jour
De repos. Il est juste, écoute,
Que je me repose à mon tour.
" Tu penses bien, ma vieille branche,
Que je me ferais un devoir
De te servir, mais c'est... dimanche,
Jour où je ne veux rien savoir. "
Raoul Ponchon
Journal
19 juillet 1905
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