RAOUL PONCHON

4 oct. 2007

Parlons d'autre chose

Mon directeur m'a défendu
De parler de l'Affaire
Dorénavant. C'est entendu.
Aussi bien je préfère

M'en faire, quoique, en vérité,
Le sujet fût commode,
Tout à fait d'actualité,
Et combien à la mode !

Et, de plus, j'avais un tuyau
Qui, selon l'ordinaire,
Devait jeter un jour nouveau
sur la susdite... histoire.

Enfin, imaginez-vous
Que ma gazette était faite.
Ah ! tous les jours avec Roque
Ne sont pas jours de fête !

Je me trouve donc clos et coi
Sans verd et sans verdure.
Il est bien tard ; ne sais plus sur quoi
Jeter quelque écriture.

Finalement j'ai résolu
De parler de moi-même.
Oui, lecteur, vous avez bien lu,
Parler de moi-même.

Je viens justement de quitter
Une vieille girafe
Qui m'a demandé mon portrait
Avec un autographe.

Mon portrait ! c'est la passion,
Ni plus ni moins, ma chère!
C'est là, trop belle occasion ;
Je ne veux m'y soustraire.

Voyons... je toise à peu près dans
Les un mètre soixante.
J'ai trente cheveux, quinze dents
et six trois quarts je gante.

Mon nez affecte d'être rond
Comme ceux de mes pères.
mes yeux me paraissent marrons
Mais ne sont pas sévères.

je tends à prendre du bedon
- Ca qui me désappointe -
Et j'ai de la barbe au menton
Partagée en deux pointes.

J'ai le caractère mal fait,
Pour un rien je m'emporte ;
Mais ma colère a moins d'effet,
D'ailleurs, que chose morte.

Ce Delorme affirme, il parait,
- Ah ! ah ! le bon apôtre ! -
Que je ne sors d'un cabaret
Que pour choir dans un autre.

En as-tu donc, coquin fieffé,
Toi seul le privilège ?
Si je n'allais pas au café,
D'abord, où te verrais-je ?

Laissons cela... Je suis encor
Jeune, mais c'est pour dire...
Je jouis au pied droit d'un cor
Qui cause mon martyre.

Madame, tel est mon portrait
Avec ma signature ;
Il est fidèle trait pour trait,
Pas besoin de rature.