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Seigneur, pourquoi m'avoir
fait naître à cette époque infâme ?
Saint POLYCARPE * *
Vignerons de Narbonne,
de Béziers et d'ailleurs...
Votre heure n'est pas bonne ;
Car vos vins les meilleurs,
Les plus sains, les plus braves
Pourrissent dans vos caves
Et perdent leur velours ;
Car des fraudeurs indignes,
Contempteurs de vos vignes,
Interrompent leur cours.
Hélas ! mon coeur se serre
Devant votre misère ;
Mais j'essaierais en vain
De boire tout ce vin.
*
* *
Et puis - ce qui n'est guère
Pour vous faire oublier
Votre sort si précaire,
Ni pour le pallier -
Croyez bien que la fraude
Est innombrable, et rôde
Et ravage partout.
Ah ! seigneur ! Quand on pense
Qu'en ce pays de France
Si bien pourvu de tout
Sous son soleil de gloire,
On ne puisse rien boire
Ni manger aujourd'hui,
Qui ne soit illusoire
Douteux, aléatoire !
N'est-ce pas inouï ?...
Ah ! si saint Polycarpe
Vivait au temps présent,
Où d'un lapin absent
On peut faire une carpe,
Que dirait-il, bon sang !...
*
* *
Car tout est tripotage
Aujourd'hui, sabotage,
Abomination,
Mystification.
Si je crois dans mon verre
Avoir un vin sincère,
Un vin de tout repos,
C'est quelque chose blême
Qui n'en a que la peau,
Les trois quarts du temps même,
C'est du jus de chapeau.
On n'a plus la ressource
D'une eau pris à la source :
Sous ce nom on vous vend
Ne sais quelle lavasse
Des fontaine Wallace,
De Seine bien souvent.
On vous fait de la bière
Sans orge et sans houblon ;
Quand au café, ma chère,
Je n'en dis pas plus long.
Quand je bourre ma pipe
Suis-je sûr, en principe,
Que j'y mets du tabac ?
Non. Je ne le suis pas.
Voire, on sait contrefaire,
Jusqu'y compris le pain.
Qui croirait que le pain
Peut subir une fraude,
Autant comme le vin ?...
Qui donc, foule badaude,
Crois bien que ton pain blanc
Fait seulement semblant...
Et l'on te sert des miches
Et des gâteaux postiche
En sciure de pitchpin.
Mets ça sur ton cal'pi.
Quant à moi je m'en fiche,
Je n'en ai nul émoi.
Heureusement pour moi,
J'ai l'estomac lyrique,
Et je puis, s'il me plait,
Me faire d'une brique
Un aliment complet.
RAOUL PONCHON
le Journal
13 mai 1907
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