11 oct. 2007

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Madame n'aime pas la campagne
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" Je te conseille d'en parler !
- Répondit ma compagne,
A qui je proposais filer
Un mois à la campagne.

" La campagne, vois-tu, mon cher,
Dont tu fais tant d'histoires,
Est, en deux mots, pour parler clair,
Le Paradis des poires.

" C'est un bruit que l'on fait courir,
Une fichaise, un leurre,
J'aimerais mieux cent fois mourir
Que d'y passer une heure.

" Elle est bête à manger du foin.
Enfin, je l'abomine.
Ecoute : sans aller plus loin,
Tu parles de vermine ?... "

( Je n'en avais pas dit un mot,
Ici, je le proclame.
N'importe ! elle reprit plus haut ;
Car, vous savez, les femmes ! )

" Oui . Ta campagne, un point, c'est tout,
N'est que de la vermine ;
Tu la rencontres tout partout,
Elle seule domine.

" Tiens !... tu veux prendre tes repas
Sous de vertes corbeilles,
Tu es harcelé par un tas
de guèpes et d'abeilles,

" Aux essaims toujours renaissants.
Tu n'ouvres pas la bouche,
Diras-tu le contraire ? sans
Avaler une mouche.


" Veux-tu, sous une frondaison,
Et dans un site agreste,
Te répandre sur le gazon,
Faire un doigt de sieste ?

" Ah ! mon dieu ! Qu'est-ce qui te prend ?...
Sous prétexte d'insectes,
Voici des monstres dévorants,
Des chenilles infectes,

" Des perce-oreilles, des fourmis,
Qui, sur toi, grouillent, rampent.
Ce sont de pires ennemis
Qui de cloques t'estampent

" Et t'inoculent leur poison.
Si tu veux, en revanche,
Prendre une fleur dans un buisson,
Un brin d'herbe, une branche ?

" Tu vas tomber sur un serpent
Dont c'est là le repaire ;
Heureux si cet être rampant
N'est pas une vipère !

" Le soir, au crépuscule, alors
Que le soleil décline
Et jaunit de ses derniers ors
La dernière colline ;

" Tu crois en être quitte, hélas !
La vermine nocturne
- Blattes, cloportes, cancrelats...
Remplace la diurne.


" Des taons, se collent à ta peau,
Des moucherons, des tiques ;
Et tu marches sur du crapaud
Plus ou poins élastique.

" Plus tard, - c'est à faire frémir
Les gens les plus rustiques, -
Tu peux te fouiller pour dormir,
A cause des moustiques...

" Aussi, veuille me dispenser
De ta campagne vile ;
Je ne demande qu'à passer
Mes vacances en ville,

" Loin de ces vermines. Je dis
Qu'on est bien où nous sommes. "
Alors, moi, je lui répondis :
" Eh bien, oui, mais... les hommes !...


RAOUL PONCHON
le Journal
06 août 1906



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