4 oct. 2007

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Baronne d’A. masseuse. fin-de-si.
et s.élève.
Rien. d. ag.



A Auguste Vitu.


Par saint Vit et saint Thècle !
V’là mon affaire cela
La masseuse fin de siècle !
Mon affaire, la voilà !

J’avais toujours par un nègre
Refusé d’être massé ;
Un nègre sent trop le nègre,
Que voulez-vous, c’est forcé.

Et puis, d’autre part, un homme
Ca n’est pas bien régalant,
Tandis qu’une femme en somme
C’est on ne peut plus galant.

Aussi, vous pensez qu’à peine
Eus-je lu cet avis-là
Je m’écriai : veine, veine !
Et sonnai chez la Bar. D’A…

Une bonne assez accorte
Me dit d’un ton aigre-doux
En entre-bâillant la porte :
« Monsieur, que désirez-vous ? »

Je la regardai, l’œil vague :
- On regarde comme on peut -
« Tiens, parbleu ! la bonne blague !
Me faire masser un peu. »

Ricanant comme une cane
Lors elle me fit entrer,
Me prit mon chapeau, ma canne,
En me disant d’espérer.

« La Baronne est occupée
Avec un vieil habitu-
é, mince comme une épée,
Et qui ressemble à Vitu.


- Bien, répondis-je, ma chère,
J’attendrai qu’il soit massé,
D’autant plus, jeune vachère,
Que je ne suis pas pressé. »

Là-dessus notre pucelle
S’en retourne à son balai
Si ce n’est à sa vaisselle.
Quant à moi, je m’affalai

Sur un fauteuil réfractaire
Qui criait sur ses étais,
Et j’esquissai l’inventaire
Du sanctuaire où j’étais :

Il me parut très quelconque,
Un tapis sur le parquet,
Comme on peut avoir quiconque ;
De plus on y remarquait

Ouvert sur une causeuse
Le petit dernier d’Ohnet…
- On a beau être masseuse
En romans on s’y connaît -

Une pendule sévère
De ce style dit pompier
Entre deux globes de verre
Coiffant des fleurs en papier…

Du piano, des musiques
D’opéras combien trop mûrs…
Des sujets mythologiques
Et tragiques sur les murs :

Léda nouée à son cygne,
Le roi Candaule et Gygès,
Ou bien le martyre indigne
De la pauvre sainte Agnès…

Puis tenant l’alcôve toute
Un lit à n’en plus finir,
Bordé de glaces, sans doute
Pour se régaler à dormir…



*
* *


J’en étais en quelque sorte
Là de mon enquête, quand
Je vis s’ouvrir la porte
Et le vieux foutre le camp,

Sautillant comme une puce
Qui ne sautillerait pas,
Sans pour cela que je pusse
Voir un seul de ses appas.

Hélas ! trois fois hélas ! Comme
Il me sembla harassé ;
Je crois bien que le pauvre homme
Avait été trop massé.

Au même instant la masseuse
Vint à moi d’un air vainqueur,
Ignoble, grasse, poisseuse,
Et me dit, la bouche en cœur :

« Vas-tu me faire bien riche ?
- Pardine, nous verrons voir ;
Tu sais, je ne suis pas chiche…
Ca dépend de ton savoir.

- Oh ! alors, mon petit homme,
Dit ce monstre sébacé,
Tu vas être massé comme
Tu ne fus jamais massé.

« Voici d’abord la baignoire,
Allons, déshabille-toi ;
Vas-tu pas faire ta poire ?
Mets-toi tout nu comme moi. »

La garce, prêchant d’exemple,
Gicla de son long peignoir,
- Vilain rideau de quel temple !
Elle me fit mal à voir.

Ses tétons semblaient des blagues,
En revanche ils étaient mous ;
Son ventre en énormes vagues
Lui saboulait les genoux.


De plus - et puis je m’arrête -
Un vrai bonnet de sapeur
Qui n’était pas sur sa tête
Me plongea dans la stupeur.



*
* *


Au sein de l’humble baignoire
A quatre pieds, je pris donc
Le bain froid préparatoire
A ses durs travaux. Adonc

Voilà que la vieille garce
Tout à coup vint exercer
Sur mézigue un tel commerce
Que je pensai trépasser.

Je souffris mille tortures ;
Dans l’instant, je fus rompu,
Je n’avais plus de jointures,
J’étais comme un homme bu.

Quelquefois, n’étant plus maître
De moi, j’appelais : maman !
Savez-vous ce que c’est d’être
Mangé par un caïman ?

O sainte Agnès, ton supplice
( Et je ne suis pas douillet )
Près du mien fut un délice,
Je t’en flanque mon billet.



*
* *

Ma masseuse faisant trève,
Je lui demandai, rêvant :
« Où donc qu’elle est ton élève ?
Je ne la vois pas souvent.

- Ah ! c’est son jour de sortie,
Dit en tripotant ses pis
Cette vache mal bâtie.
- Nom de Dieu ! tant pis, tant pis ! »


*
* *


Et comme elle allait reprendre
L’entretien où laissé,
Je lui dis : « Je sors d’en prendre,
Va, je suis assez massé ;

Songez à ceci, madame :
Pendant que je suis ici,
Peut-être bien que ma femme
Se fait masser, elle aussi ! »




Raoul Ponchon
Courrier Français
26 juillet 1891



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