4 oct. 2007

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DELIMITATION


Si tu veux, faisons un rêve,
Montons sur deux palefrois.
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Allons-nous en par l'Autriche.
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VICTOR HUGO



Si tu veux, faisons ribote,
Allons boire n'importe où.
Tu me chausses, je te botte,
La soif chante dans mon cou.

Dépêchons-nous, allons, preste !
Montons sur un palefroi.
Un seul ça suffit, de reste ;
Deux nous feraient double emploi.

Que dis-tu, ma camarade ?...
Tu n'as pas soif ? Oh la la !
Alors tu serais malade.
Ma muse, il faut soigner ça.

En ce monde transitoire,
Hélas ! tout le temps, vois-tu,
Qu'on ne passe pas à boire
N'est rien que du temps perdu.

La Tour Eiffel, dit l'histoire,
A trois cents mètres de haut...
Mon Dieu, je veux bien le croire,
Voire m'écrier : oh ! oh !

Mais c'est une bagatelle,
Un sucre d'orge forgé,
Une patte de bretelle,
Auprès de la soif que j'ai !

Viens. Déjà la Lune blonde
Dit au Soleil : " Va t'asseoir ! "
Et le Soleil dit au Monde :
" A demain, petit, bonsoir ! "
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dessin J. Faverot

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Tu t'habilles ! Pourquoi faire ?
Ton linge c'est ta vertu ;
Pour moi, quand je tiens un verre,
Je me trouve assez vêtu.

Viens. Déjà je me sens ivre,
Ou tout au moins guilleret.
Comment diable peut-on vivre
Ailleurs qu'en un cabaret !

Entends dans la chantepleure
Gazouiller des canaris.
Que sera-ce tout à l'heure,
Si nous voilà déjà gris ?

Aux lazzis des populaces
Nous servirons de plastron...
Et les nymphes des Wallaces,
- Peu nous importe ! - diront :

" En voilà deux qui, sans doute,
Ne nous estiment pas fort.
Mais, par Bacchus ! somme toute,
Ils n'ont pas tout à fait tort. "

Viens donc - non pas en Autriche
Qui n'a rien de bien tentant.
Le vin n'est pas qu'on y liche
D'un intérêt palpitant.

Nous irons par les vignobles
De France, où l'on trouve encor
Des vins généreux et nobles
Qui ne sont que pourpres et qu'or !

En notre humeur vagabonde,
Nous viderons maint flacon,
Tour à tour, chez le Burgonde,
Le Champenois, le Gascon...

Et de leurs vignes suprêmes,
Puisqu'il en est question,
Nous saurons dresser nous-mêmes
La délimitation




RAOUL PONCHON
le Journal
13 sept. 1909








UN PEU DE MUSIQUE
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Écoutez ! — Comme un nid qui murmure invisible,
Un bruit confus s'approche, et des rires, des voix,
Des pas, sortent du fond vertigineux des bois.
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Et voici qu'à travers la grande forêt brune
Qu'emplit la rêverie immense de la lune,
On entend frissonner et vibrer mollement,
Communiquant aux bois son doux frémissement,
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La guitare des monts d'Inspruck, reconnaissable
Au grelot de son manche où Sonne un grain de sable ;
Il s'y mêle la voix d'un homme, et ce frisson
Prend un sens et devient une vague chanson :
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Si tu veux, faisons un rêve :
Montons sur deux palefrois ;
Tu m'emmènes, je t'enlève.
L'oiseau chante dans les bois.

Je suis ton maître et ta proie ;
Partons, c'est la fin du jour ;
Mon cheval sera la joie,
Ton cheval sera l'amour.

Nous ferons toucher leurs têtes ;
Les voyages sont aisés ;
Nous donnerons à ces bêtes
Une avoine de baisers.

Viens ! nos doux chevaux mensonges
Frappent du pied tous les deux,
Le mien au fond de mes songes,
Et le tien au fond des cieux.

Un bagage est nécessaire ;
Nous emporterons nos vœux,
Nos bonheurs, notre misère,
Et la fleur de tes cheveux.

Viens, le soir brunit les chênes ;
Le moineau rit ; ce moqueur
Entend le doux bruit des chaînes
Que tu m'as mises au cœur.

Ce ne sera point ma faute
Si les forêts et les monts,
En nous voyant côte à côte,
Ne murmurent pas : « Aimons ! »

Viens, sois tendre, je suis ivre.
Ô les verts taillis mouillés !
Ton souffle te fera suivre
Des papillons réveillés.

L'envieux oiseau nocturne,
Triste, ouvrira son œil rond ;
Les nymphes, penchant leur urne,
Dans les grottes souriront ;

Et diront : « Sommes-nous folles !
C'est Léandre avec Héro ;
En écoutant leurs paroles
Nous laissons tomber notre eau. »

Allons-nous-en par l'Autriche !
Nous aurons l'aube à nos fronts ;
Je serai grand, et toi riche,
Puisque nous nous aimerons.

Allons-nous-en par la terre,
Sur nos deux chevaux charmants,
Dans l'azur, dans le mystère,
Dans les éblouissements !

Nous entrerons à l'auberge,
Et nous paîrons l'hôtelier
De ton sourire de vierge,
De mon bonjour d'écolier.

Tu seras dame, et moi comte ;
Viens, mon cœur s'épanouit ;
Viens, nous conterons ce conte
Aux étoiles de la nuit.

La mélodie encor quelques instants se traîne
Sous les arbres bleuis par la lune sereine,
Puis tremble, puis expire, et la voix qui chantait
S'éteint comme un oiseau se pose ; tout se tait.



VICTOR HUGO
Légende des Siècles
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