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Soyons Belges
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Bruxelles est un grand Paris
Et Paris un petit Bruxelles,
Du moins des Belges c'est l'avis.
Ils nous en baillent là de belles.
De tout ce qui sort de chez nous
Les Bruxellois feront leur proie ;
Et si nous sommes un peu fous
Ils seront belges comme une oie.
On dit qu'ils parlent le français
Comme des vaches espagnoles ;
Ici l'on se trompe à l'excès,
Ils parlent comme à Batignolles.
Ils sont comme nous des dadas,
Puisque leur France est la Belgique ;
Ils ont bien aussi des soldats,
Mais ils sont tous dans la musique.
Ils ont des théâtres, sais-tu ?
Un peu de toutes les manières,
Où l'on joue à plein que veux-tu ?
Francillons et Grandes Marnières ;
Et c'est même aussi de Paris
Que viennent leurs meilleurs artistes,
Pour interprèter les écrits
Fameux de nos vaudevillistes.
De même qu'à Paris tu bois
Une vinasse immarcescible, *
La bière, amour des Bruxellois,
Est une chose intraduisible ;
Plutôt que boire leur lambic,
Leur faro, boissons de sorcière, *
Je lècherais d'un porc-épic
A rebrousse-poil le derrière.
Leurs restaurants sont à l'instar
De ceux de Paris - c'est tout dire -
Que dis-je ? ils sont bien pires, car
Toute imitation est pire.
Ainsi que pour nous, Boulanger
Est le seul homme, l'homme unique ; *
Je crois - s'ils étaient en danger -
Quy'ils se pendraient à sa tunique.
Ils se bercent de nos chansons,
C'est nous leur art, leur espérance ;
Et nous sommes leurs échansons,
Car ils boivent le vin de France ;
Au lieu d'écouter Frère-Orban *
Qui, sans doute a de l'éloquence,
Ils vont chantant le bout du banc,
Notre oeuvre comme bien l'on pense.
Ces Belges à l'orgueil têtu
Pourtant, ô mon coeur, tu les aimes ;
Ils sont, pour une fois, sais-tu ?
Parisiens comme nous-mêmes.
Ils veulent tout ce que nous ons,
Ils suivent les modes françaises ;
Imitant ce que nous faisons
Et surtout les choses mauvaises.
C'est nous qui les rendons vivants ;
J'allais même en dire de raides
- Que nous leur faisions leurs enfants ; -
Non, non, leurs Belges sont trop laides.
Quoi me réserve l'avenir ?
J'ignore, mais les Bruxelloises
Ne me feront jamais hennir
Autant que me font les Françoises.
Quand elles viennent de chez nous,
Toutes leurs femmes sont jolies,
Et pour elles mes trois genoux
Feraient encore des folies.
Parlez-leur de leurs monuments,
De leurs boulevards, de leurs rues,
Vous passerez de bons moments,
Avecque ces coquecigrues. *
Ils vont vous dire, sans effort,
Qu'à Paris rien ne les égale ;
Voilà bien de ces gens du Nord
La verve méridionale !
Parlez-lui, pour voir, de l'Escaut !
Et tout vrai Bruxellois se cambre,
Il aura quinze pieds de haut
S'il nomme le bois de la Cambre. *
Le Panthéon n'est qu'un fétu.
Et leurs fameuses galeries
Saint Hubert ! * les a e ou u ?
Tu sais, ce sont les Tuileries.
Quel est ce machin si beau ?
Cette ahurissante bâtisse ?
On croirait que c'est un tombeau
Et c'est leur Palais de Justice ;
Malgré qu'il soit perdu dans l'air
- Il passe tout de plusieurs mètres -
La Justice n'y voit pas clair -
Ils ont oublié les fenêtres !
Parmi leurs monuments très hauts
L'Iguanodon est d'un beau style. *
Animal de temps du chaos
Moitié girafe et crocodile.
Surtout n'oublions pas leur fils,
L'enfant chéri de leurs entrailles ;
Et disons que Manneken-Piss *
Vaut les grandes eaux de Versailles (1).
Maintenant vous me demandez
S'ils sont d'une race flamande
Les Bruxellois ? Non : ce sont des
Parisiens de contrebande.
Ont-ils un bon roi ? Question !
Ou bien s'ils jouissent encore
D'une aimable Inquisition
Voilà ce qu'encore j'ignore.
Pourquoi sont-ils, les Bruxellois ?
Disent de tous côtés les foules :
Je n'en sais trop rien, mais je crois
Qu'ils sont comme il y a des moules...
Le Belge ? On ne sait pas s'il sert
Au progrès. S'il pousse à la roue,
Et, dans l'européen concert,
Quel est l'instrument dont il joue.
Raoul Ponchon
Courrier Français
22 avril 1888
(1) Manneken-Piss est une fontaine qui représente un enfant qui pisse - les jours de fête.
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