3 oct. 2007

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LA VENUS DE MILO
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On vient de découvrir en Grèce,
Une statuette qui semble une re-
production de la Vénus de Milo -
Avec ses bras



Et dire qu’il se trouve encore,
Chaque jour, un savant en us
Qui lamentablement pérore
Sur le cas de cette Vénus..

Oh ! Pour cette belle immortelle,
S’il s’échauffe entre ses repas,
Ce n’est point pour ce qu’il voit d’elle,
Mais bien pour ce qu’il n’en voit pas.

Ce marbre où l’art sublime éclate
Ne lui semble qu’un vain plâtras,
Où le vieux birbe ne constate
Que la seule absence des bras.

- Tels sont ces mâcheurs de grammaire,
Qui pâlissent pendant trente ans
Sur une syllabe d’Homère ;
Pour le reste, ils n’ont pas le temps. -

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* *


Que diable pouvait-elle en faire
De ses bras ? Apre question !
Je dis même troublant mystère
Passant l’imagination !


L’un tendait-il vers la pomme
Offerte par le beau Pâris ?
Ou bien, ce qui serait tout comme,
Par son petit homme, Adonis ?

De l’un tenait-elle sa robe,
Tandis que, de l’autre, un miroir ?
On l’a dit, mais je me dérobe
Et ne tiens pas à le savoir.


*
* *

Pourtant, mon savant s’évertue.
Et, comme il ne peut découvrir
Le geste de cette statue,
Il est triste jusqu’à mourir.

Il voit toujours ces bras en rêve,
Comme ceux d’un orang-outang ;
Et le dextre brandit un glaive,
Et le senestre en fait autant.

Bien mieux - ô cauchemar suprême !
C’est, qui s’agite sur ses draps,
L’énorme déesse elle-même,
Tel un Briarée aux cents bras !

*
* *


Savant, est-ce avec ta science
Qu’à cette Vénus tu rendras
Ses abatis, en conscience ?…
Et que nous importe ses bras ?

La Victoire de Samothrace
En avait, je pense, elle aussi,
Des bras ?… Il n’en reste plus trace.
En est-elle moins belle aussi ?


Ces marbres tronqués, belle affaire
Admire-les, fais un effort.
Ensuite, il se pourrait bien faire
Que, plus complets, ils eussent tort.

Car, en sa justice infinie,
Le Temps conserve ce qu’il doit
Conserver de l’humain génie ;
Le reste, il l’efface du doigt .

Mais, n’en parlons plus à cette heure,
Puisque notre savant en us,
Si mon journal point ne me leurre,
Connaît les bras de sa Vénus.




Raoul Ponchon
le Journal
21 juillet 1908






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