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Mimi Pinson
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Un personnage féminin traverse le siècle d’un battement d’ailes et sous la brise légère picole un peu de nectar : c’est Mimi Pinson, l’emblème des petites ouvrières d’ateliers de couture. D’une nouvelle d’Alfred de Musset, publiée en 1845, Mimi Pinson est sans doute la figure la plus touchante de la bohème. Le poète en fera une ronde célèbre en son temps. Le personnage de la grisette au grand cœur était née et durera longtemps dans la mémoire collective. Esprit gouailleur avec son franc parler, regard malicieux, elle marche vers son destin, vive, légère, active et gagne sa vie avec ce rien d’indépendance. De condition modeste, sous les becs de gaz de sa bonneterie, aiguille et dé au doigt, armée de son poinçon, ses mains pétrissent des rêves bien raisonnables.Ponchon fait ici référence au texte de Henry Murger, "Scènes de la vie de Bohème " comptant la vie tumultueuse de Mimi Pinson.
Mimi Pinson est une blonde,
Une blonde que l'on connait.
(A. DE MUSSET.)
Tant que vos artères aortes
Joueront, libres comme le vent,
Que votre cœur battra souvent,
Bref, puisque vous n’êtes pas mortes,
Pélerines de Cinq-Louis,
Allez, allez, ô jeunes filles,
Voire à Montmartre si j’y suis.
Sur tous les quartiers de la terre
Lequel l’emporte ? Il est certain
Que c’est le vieux quartier Latin :
Tel le diamant sur le verre ;
Les jeunes gens y sont instruits
Et brûlants comme des torpilles.
Allez, allez, ô jeunes filles,
Voir à Montmartre si j’y suis.
Il n’est pas une Cannebière
Sous un ciel plus attiédi
Où l’on trouve plus de Midi ;
Et nulle part non plus la bière
N’est faite avec de meilleur buis,
De ce buis dont on fait les quilles.
Allez, allez, ô jeunes filles,
Voir à Montmartre si j’y suis.
L’air y souffle toujours amoene ;
C’est à croire qu’en ce beau lieu
En toute saison le bon Dieu
Est le caporal de la semaine ;
Quant aux femmes, tu les réduis
Ainsi que de simples Bastilles.
Allez, allez, ô jeunes filles,
Voir à Montmartre si j’y suis.
Là donc brillait comme une perle
Mimi Pinson (pas de corset),
Et quoi qu'en dise A. de Musset,
Elle était brune comme un merle ;
Et sage, au point que dans ses nuits
Elle enfilait... Quoi ? des lentilles.
Allez, allez, ô jeunes filles,
Voire à Montmartre si j’y suis.
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Un soir, qu'elle faisait l'étroite,
Vint à passer un beau berger ;
Il avait l'accent étranger
Que l'on a sur la rive droite,
Des yeux tout autour, pas trop cuits,
Et vantait fort ses spopondrilles...
Allez, allez, ô jeunes filles,
Voire à Montmartre si j’y suis.
Malgré qu'il fut assez bel homme
Pour être aimé pour ses beaux yeux,
Afin de la séduire mieux
Il lui donna la forte somme.
Elle, au bout de quelques déduits
Devint madame de Montilles ;
Allez, allez, ô jeunes filles,
Voire à Montmartre si j’y suis...
La Butte était lointaine et sombre,
Les étoiles brillaient en choeur
Sur l'église du Sacré-Choeur ;
C'est là qu'on rencontra leur ombre ;
La ville avait éteint ses bruits,
Les rossignols hurlaient leurs trilles.
Allez, allez, ô jeunes filles,
Voire à Montmartre si j’y suis.
Pendant ce temps ses soeurs jalouses
Ne dormaient ni ne veillaient plus
Et comme elle (voeux superflus !)
Désiraient se faire Andalouses ;
Mais ce sont là des verts bien fruits (1)
Pour de georgeonesques papilles.
Allez, allez, ô jeunes filles,
Voire à Montmartre si j’y suis.
Mimi vivait comme un notaire
Riche, bien qu'heureuse en amour,
Lorsque son amant un beau jour
Lui montra ce qu'il savait faire,
Son amant Taylor, dit depuis
La Sécurité des Familles.
Allez, allez, ô jeunes filles,
Voire à Montmartre si j’y suis.
Il faut être naïve au diable
Pour se toquer comme cela,
Car, le cochon, il l'étrangla
Et ne trouva pas le coupable...
On dit qu'il tomba dans un puits
En voulant pêcher des anguilles.
Allez, allez, ô jeunes filles,
Voire à Montmartre si j’y suis.
RAOUL PONCHON
Courrier Français -24 avr. 1887
(1) Quand je suis gêné par la rime, je fais n'importe quelle inversion , ça m'indiffère. Lisez : des fruits trop verts.
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