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La Dent de Merdasson
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Excelsior !
Les montagnes de la Suisse
Sont trop hautes pour ma cuisse,
Jungfrau, Mont-Rose ou Mont-Blanc...
Trop hautes ou font semblant.
D'autre part, aller en Suisse,
Se peut-il que je le puisse
Sans escalader un pic ?...
Mais lequel ? voilà le hic.
Ces diablesses de montagnes
Furonclent sur les campagnes
Au point qu'on ne trouve pas
De plaine pour faire un pas.
Telle la sottise humaine
Ne vous laisse aucune plaine :
Comme on ne peut la tuer,
Il faut s'y habituer.
*
* *
Je résolus donc, en somme,
De promener mon bonhomme
Sur un de ces monts altiers.
Or, pendant huit jours entiers,
A l'instar de Bonaparte,
Je rêvai sur une carte
Où l'on voyait en relief
Jusqu'au mont le plus brief.
J'admirai, j'admire encore,
Qu'afin que nul n'en ignore,
Son ingénieux auteur
Avait fixé leur hauteur.
Il était de ces montagnes
Plus en l'air que des tours magnes
Ou que des tours de Babel,
Même que des tours Eiffel.
Il en était de plus basses
Que des airs de contrebasses
Gravissables à loisir ;
L'embarras est de choisir.
Une me plut davantage
A cause de son étage,
Et dont le nom sans façon
Etait Dent de Merdasson.
Elle s'élevait à peine
- Tel un étron sur la plaine -
Et son nom indiquait bien
Qu'elle était veule combien !
Voilà, dis-je, mon affaire :
C'est l'ascension à faire ;
Aussi bien, le lendemain,
Mon Alpenstock à la main,
J'entrepris son escalade.
Ce fut comme une ballade,
Pour moi, cette ascension,
Soit dit sans prétention.
Lorsque je fus à la cime,
Je vis une rarissime
Barbe, épaisse comme trois,
Et j'entendis une voix
Qui sortait de cette barbe
- Telle d'un mur la joubarbe, -
C'était la voix du Bon Dieu :
" - Que viens-tu faire en ce lieu
- Disait-elle - de vertige ?
- Lieu, toi-même, répondis-je,
Je viens justement te voir,
Puisque tu veux le savoir.
- Apprends donc, pauvre imbécile,
Que me voir n'est pas facile ;
Il te faudrait faire un pas
De plus. Car je n'aime pas
Les ambitions médiocres.
Peut-on se contenter d'ocres
Quand on voit mes firmaments
Constellés de diamants ?
Vois-tu, pour être mon hôte,
Il n'est de cime trop haute :
Va, monte encore, et demain
Je te donnerai la main. "
Raoul Ponchon
Courrier Français - 04 oct. 1891
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