11 oct. 2007

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Interview de Rois
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Les souverains et les princes interviewés
par la duchesse d'Argyll regrettent de
n'être pas de simples mortel.
(Gazettes du jour)


Ainsi ces empereurs, ces rois
Remplis d'omnipotence,
Ces princes plus ou moins sournois,
Selon leur importance,

Tous ces absurdes souverains
Fatigués de leur faste,
De leurs moindres contemporains
Envient le sort moins vaste.

Leur sceptre est trop lourd et trop long
Et leur manteau d'hermine
Est comme une chape de plomb
Qui lentement les mine.

A t'en croire Guillaume Deux
Ne tient pas à son trône,
Et préfererait être un gueux
Qui demande l'aumône ;



Luitpold voudrait planter des choux ;
Si ce n'est la négresse ;
Et le roi des Abouchouchous
Etre celui de Grèce.

A peine Humbert est-il fini,
Que déjà la pourpre excède
Son fils malingre et raccorni
Qui d'hier lui succède ;

Et la reine Victoria
Aimerait mieux sans doute
Tenir un bar à Prétoria
Que régner sur sa goutte.

Son dauphin, moins ambitieux,
Tiendrait pour de la veine
De n'avoir aucun curieux
Témoin de ses fredaines.



Peut-être notre ami, le Tsar
De toutes les Russies
Rêve de monter un bazar
Au sein des Helvéties ?...

Enfin tous ces infortunés
Maudissent à l'envie
Le sort pour lequel ils sont nés,
Et leur inepte vie.

Ils s'ennuient. C'est tant pis pour eux ;
S'ils comprenaient leur rôle
Ils rendraient leurs sujets heureux.
Ce serait bien plus drôle.

Mais voilà des bonheurs subtils
Qui ne les émeut guère ;
On leur demande la paix, ils
Vous infligent la guerre ;

Au lieu d'être ici-bas des Dieux
Chacun d'eux s'évertue
A se rendre au peuple odieux,
C'est pourquoi l'on les tue.

S'ils ne sont pas contents, vraiment,
Qu'ils s'en aillent au diable !
Personne ne tient tellement
A leur joug effroyable.



Depuis longtemps le gros Milan
Leur a donné l'exemple,
Il a déposé son bilan ;
Son commerce est moins ample,

Il n'a plus son luxe royal,
Mais il est à son aise,
Car il vend au Palais-Royal
Des... machines anglaises.

Et qui donc empêche Loubet
De lâcher la couronne
Sans plus attendre son paquet ?
Ce n'est moi, ni personne.



RAOUL PONCHON
le Courrier Français
16.09.1900

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