5 oct. 2007

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LES ETRENNES
de
MARIANNE

Tout en fumant un gros cigare,
Marianne songeait ainsi :
La question n'est pas bulgare
Qui fait aujourd'hui mon souci.

Elle est telle qu'elle m'écoeure.
Dans quelques jours - figurez-vous -
Va sonner la fatidique heure
Où je devrai changer d'époux !

Et pourquoi ? je vous le demande,
Là voilà bien la question !
On me dit : ainsi le commande
Cette âpre Constitution.

Changer d'époux ! Misère et corde !
Ainsi que Lisette et Nana...
C'est épatant, quand on s'accorde
Si bien avec celui qu'on a !

Pour quel inconnu personnage
Il me faut quitter mon Armand,
Qui pendant sept ans de ménage
Avec moi fut toujours charmant ?


Voire, au même instant, pour tout dire,
Je dois divorcer d'une main,
Et de l'autre - avec le sourire -
Contracter un nouvel hymen !

C'est ainsi, depuis mon baptème,
Que j'aurais convolé huit fois ;
Cette fois sera la neuvième,
Si je sais compter sur mes doigts.

Car, bien qu'à demi-séculaire
Je ne manque pas d'amoureux
Qui sont empressés à me plaire,
Etant assez jeune pour eux.

Je ne me trouve pas si blette,
D'ailleurs, si j'en crois mon tiroir -
Pardon... miroir, je perds la tête...
Ah ! je voudrais bien vous y voir !

Certes, je sais que si l'on m'aime,
C'est le plus généralement
Pour ma dot, et non pour moi-même,
Je ne fais pas de sentiment.



*
*.. *

Encor, si dans cette occurence,
Il m'était permis de choisir
Parmi tous les Français de France ?
Mais non, je n'ai pas ce loisir.

C'est entre une demi douzaine
De clients, guère plus, ma foi,
Qu'il me faudra dans la quinzaine
Choisir mon époux et mon roi.

Sera-ce Pierre, Paul ou Jacques ?
Ou bien Ixe, Chose ou Machin ?
Je le saurai toujours à Pâques,
Si ce n'est en janvier prochain.

Voyez dans quelle angoisse est la nôtre.
Pour nul des six je n'ai d'émoi ;
Quand je vois l'un j'aime mieux l'autre.
C'est tout. Seigneur, inspirez-moi !

Vous m'inspirez ! tout me l'indique.
Eurêka ! J'ai trouvé ! - D'abord,
Soignons ma culture héllénique -
Je dois m'en rapporter au sort.

Pour cela, je vais leurs noms mettre
Dans mon vieux bonnet phrygien
Et celui-là devient mon maître,
Dont le nom sort. On verra bien...


Et puis, qu'il soit terne ou sublime,
Je dirai, comme Mahomet :
C'était écrit ! Et, pour la rime,
J'ajouterai même : Kismet !



RAOUL PONCHON
le Journal
30 oct. 1912





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