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LES REGIMES
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Parbleu, je les trouve sublimes
Et merveilleux ces médecins
Qui nous prescrivent des régimes
Bouillons de culture et vaccins
Chargés de partir en croisade
Contre les microbes sournois,
Petits vagabonds en balade,
Qui se glissent en lapinois
A travers le sombre dédale
Du grêle ou du gros intestin,
chez lesquels ce que l'on avale
A toujours le pire destin.
Nous serions tous, à les entendre
De noirs foyers infectieux
Pleins de bacilles à revendre...
Mais comment faisaient nos aïeux ?
Je ne vois pas qu'à leur époque
Ils aient vécu moins vieux que nous.
Même leur souvenir évoque
Des gaillards buvant à grands coups,
Se nourrissant d'un tas de choses
Qu'aujourd'hui l'on nous interdit,
Et qui n'avaient pas de névroses
Ni estomac en discrédit.
Ils ignoraient que l'appendice
Etait chez eux en supplément
Et pouvait prêter préjudice
Au reste de l'ameublement.
Quand ils dégustaient sans vergogne
De bons vins entre compagnons,
Ils ne disaient pas : " ce Bourgogne
Va brûler nos pauvres rognons. "
Et certes, ils riraient bien, je pense,
Car c'est un suggestif tableau,
D'apprendre, que par correspondance,
On met en bouteilles... de l'eau !
Or, si, sans faire un tel manège,
Nos anciens se portaient fort bien,
Avaient-ils donc le privilège
De n'avoir rien de microbien ?
Faut-il croire que le bacille
Ait attendu jusqu'à nos jours
Pour venir prendre domicile
Dans le ventre et ses alentours ?
Non, je crois que ces petits êtres,
Intrépides explorateurs,
Ont de tout temps traîné leurs guêtres
Dans nos maquis intérieurs ;
Seulement on n'y songeait guère,
Ils vivaient chez nous incompris ;
Au lieu de leur faire la guerre,
On les traitait par le mépris.
Maintenant, comme nourriture,
Pour exaspérer ces intrus,
On prend des bouillons de culture
Plein d'innombrables détritus.
Par ordonnance, l'on consomme
Du lait tourné, doux aliment,
Ou le ferment du jus de pomme
(N'allez pas lire : le Serment
Du jeu de Paume) ; l'eau filtrée
A remplacé les vins de choix ;
Et les farineux en purée,
L'artichaut et les petits pois.
Enfin une chose m'épate,
Tout le fait me paraît inoui :
Hier on condamnait la tomate,
On nous la prescrit aujourd'hui.
Hier les oeufs étaient une chose
Saine... à présent on les défend,
Et c'est de la tuberculose
Que dans le lait gobe un enfant.
Au fond, ce n'est que de la frime,
Et ceux qui suivent les avis
Devraient choisir comme régime
Le millet et le chènevis.
RAOUL PONCHON
le Journal
4 avril 1907
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