5 oct. 2009

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Autant vivre dans une barrique
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Jamais, aux plus malheureux
Jours de notre histoire,
Sous les rois les plus glaireux
Comme les plus poires,

Sous la Révolution,
Sous les deux Empires,
On ne vit corruption
Et scandales pires.

C'est ce qu'on m'a dit, du moins,
Des gens de foi dignes.
Car, les dieux m'en sont témoins
Dont c'est la consigne,

Je ne sais rien, mais là, rien
De ce qui se passe,
Et je m'en trouve très bien
Et je m'en embrasse.

Depuis beau temps, Dieu merci
Loin de toute clique
Je vis trappiste à Bercy,
Dans une barrique.

Hier pourtant, ne sais pourquoi
Ou ne le sais guère,
Au lieu de me tenir coi
Comme à l'ordinaire,

Subitement il me prit
Cette fantaisie
De rouler jusqu'à Paris,
Là-bas... en Asie.

Je déclare incontinent
Que, malgré mon stage
Dans cette cité, je n'en
Sais pas davantage
.

Partout où j'allais je vis
Des êtres bizarres
Piaillant comme des mauvis
Des scènes barbares ;


Je vis, mais je n'ai pas compris,
Un peuple pygmée
Qui s'entretuait au cri
de : " Vive l'Armée ! "

J'entrai dans un temple grec
Dit de la Concorde ;
Ca me cloua le bec,
Ah ! miséricorde !

Là, chrétiens et musulmans
Et autres Canaques
S'y faisaient des boniments
A coup de matraques.

Parfois, l'un d'eux hasardait
Un vocable étrange,

A quoi chacun répondait :
- Je me souviens - mange.

Et tous, ils s'écharpignaient
se cassaient la fiole,
Se fracassaient, trépignaient ;
On eût dit des folles.

Et, dans ma naïveté :
" Ce sont là, sans doute,
Députés de la Beauté,
Me disai-je, - écoute.

" Ils combattent, vrais Bayards,
Pour la noble cause,
Un poème... une oeuvre d'art...
Quelque belle chose...

" On ne peut, en vérité,
A moins d'être brutes,
Apporter telle apreté
A d'autres disputes. "


Je me trompais, oh ! combien !
Non, laissez-moi rire ;
Tout autre était l'entretien
Que je n'ose dire.


Bien que têtu Vendéen,
Comme une bourrique,
Ah ! mon Dieu ! vite réin-
Tégrons ma barrique.



RAOUL PONCHON
le Courrier Français
24 janvier 1898



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