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LE PAUVRE HOMME
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Moi
Baptiste, lis-moi le journal.
Qu’est-ce qu’il dit ?
Baptiste
Que tout va mal,
Que c’est pire que sous l’Empire,
Que chaque jour ce pire empire.
Moi
Et Rothschild ?…
Baptiste
Rothschild est content.
Il a beaucoup d’argent comptant,
Tellement même, à ce qu’on conte,
Qu’on n’en saurait faire le compte.
Jamais il ne fut mieux portant.
Il fume d’énormes cigares
Des ponchonos rares, bizarres.
Moi
Le pauvre homme !
Baptiste
Je lis encor :
Nouvelles grèves dans le Nord.
Jamais les patrons plus avares
N’ont fait les mines plus barbares ;
Vingt mille hommes crèvent de faim,
Vingt mille autres n’ont pas de pain.
Moi
Et Rothschild…
Baptiste
Rothschild se conserve ;
Il mange avec beaucoup de verve
Des tranches de bœuf, des gigots
Aussi larges que ses deux fesses,
Sur des chiées de haricots,
Qu’il digère en faisant des vesses.
Moi
Le pauvre homme !
Baptiste
Je lis aussi
Que la licence de la rue
S’est formidablement accrue
Or, d’après Jules et Passy,
Il importe que l’on endigue
La belle digue digue digue,
En formant une vaste ligue,
La belle ligue, ligue don.
Moi
Et Rothschild ?
Baptiste
Ben, ses nuits sont bonnes,
Il couche avec ses trois cents bonnes,
Et il leur traduit en latin
Et en action, l’Arétin. *
Moi
Le pauvre homme !
Baptiste
Ce qui n’empêche
Que la République est en dêche
Et qu’il y a dans le Trésor
Non de tintantes pièces d’or,
Mais de sombres noyaux de pêche…
Moi
Et Rothschild ?
Baptiste
Rothschild ?… Eh bien, mais…
Il est plus riche que jamais,
Hier encore, dit la gazette,
Il a fait forte recette :
Comme qui dirait trois liards
Ajoutés à ses milliards.
Moi
Le pauvre homme ! Hélas ! Le pauvre homme !
Il me fait une peine énorme.
Raoul Ponchon
le Courrier Français - 21 fév 1892
muse vagabonde
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