4 oct. 2007

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LE CHOIX DU COSTUME

Quand les Dix par Goncourt bénis,
Furent entre trois candélabres,
Dont un fort gigot, réunis
Pour tenir leur premier palabre ;

1 Léon Daudet prit le crachoir
Et dit : « Messieurs et chers convives,
…Paravant que de laisser choir
Des paroles définitives,

« Il serait bon de discuter,
Je crois, le costume de guerre
Qu’il nous va falloir adopter,
Pour nous signaler au vulgaire.

« Car, selon le dict ancien,
Si « l’habit ne fait pas le moine »
Il fait l’académicien,
Tel le cochon fait saint Antoine.

« Pour moi, ce qui me plairait beaucoup,
Ce serait un frac bleu phosphore,
Avec des queu’ de couroucou
Et des plumes de lophophore… »


« - Moi, dit le fils du général
2 Margueritte, - pourquoi m’en taire ?
J’en tiens, si ça vous est égal,
Pour l’uniforme militaire. »


3 - 4 Les Rosny, ces deux xiphélus :
« - Voici, dirent-ils, mes chers maîtres,
Le dessein que, d’abord, j’ai eu :
Habillons-nous en grandelettres..

« Mais, - allez-vous crier, -
En quoi consiste le costume ?
On se casque d’un encrier,
On se gante de porteplumes,

« Et tout l’habit est en papier… »
5 « - Non, dit Geoffroy, soyons artistes.
Un casque ! rien n’est plus pompier,
L’époque est aux modernstylistes

« Voici qui me paraît moins fol :
Un pantalon à la houzarde …
Cape espagnole et chapeau mol,
Avec - au bec - une bouffarde. »


6 « - Moi, dit Huysmans, j’opine pour
Une bure ecclésiastique ;
C’est chaud la nuit, c’est beau le jour… »
7 « - Merci ! et Combes ?… » dit Hennique.


8 Bourget, qui toujours s’affligea
De notre européenne mode,
Voulait un habit de rajah,
Beaucoup plus séant et commode.

« - Mais ton costume oriental,
C’est encor de la poésie !
9 Répliquait Mirbeau ; animal !
Il n’en faut pas, c’est l’hérésie !…

« Ce serait Goncourt affliger.
Faisons de la prose, que diable !
Un costume de bon berger
Me semble le seul convenable. »

Les avis étaient partagés,
Comme on voit, parmi ces dix braves.
Ils allaient donc prendre congé
10 Sans être d’accord, quand, Descaves,

Le seul qui n’eût encor rien dit,
Bien qu’il en pensât davantage,
Exposa le projet hardi
Qui rallia tous les suffrages :


« Pourquoi ne pas prendre, à l’instar
Des Quarante de la Coupole,
Ce fameux habit vert lézard ?
En auraient-ils le monopole ?

« Et puis, s’ils ne sont pas contents,
Ils le diront. Le souci nôtre,
Et le seul, c’est de temps en temps,
Qu’on nous prendra pour l’un ou l’autre

« De ces quarante Béotiens.
Mais Goncourt, seul dieu qui nous reste,
Saura reconnaître les siens,
Du haut de son grenier céleste. »


Raoul Ponchon
le Journal
09 fév. 1903





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