4 oct. 2007

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CENT MILLE FRANCS DE PAPIER

" Nos députés, en 1906, ont usé
pour cent mille francs de papier
à lettres. "
(Journaux)




Je sais depuis longtemps qu'en France,
Nous avons tous pour le papier
Un appêtit particulier
Qui va jusqu'à l'intempérence.

Et je ne parle pas ici
De nos journaux ni de nos livres,
Si nombreux qu'on ne peut les suivre
Et dont le flot toujours grossit.

Car, s'il est des papiers futiles,
On n'en voit d'excellents parfois,
Je parle des papiers sournois,
Si parfaitement inutiles :

Ceux de l'Administration
Que tout l'Univers nous envie ;
Papiers qui sont toute sa vie,
Et sa seule distraction.

Ceux des avoués, des notaires,
Ceux que salissent les huissiers
De leur charabia de sorciers,
Et qui passent tous commentaires.

Je parle encor de ces papiers
Que l'âpre Assistance publique
Va réclamant aux faméliques,
Aux mendiants, estropiés...

On pourrait broder sur ce thème.
Je sais - dis-je - que le Français,
Qui tombe toujours dans l'excès,
Aime le papier pour lui-même.

*
* ..*



Mais, où bien étonné je fus,
C'est quand on m'a dit qu'à la Chambre,
De janvier jusques en décembre,
Il s'en faisait un foi abus.

Ainsi, dans le bel an de grâce
Dix-neuf cent six, en leur humour,
Nos députés ont usé pour
Cent mille francs de paperasse

De papier à lettres plutôt.
Car, pour celui qu'on leur imprime,
La dépense serait minime.
Nous en reparlerons tantôt...

Cent mille francs pour qui calcule,
C'est cent soixante et quelques francs
A peu près, par tête et par an.
Le chiffre est un peu ridicule.

Encor, s'ils payaient ça sur leur
Indemnité parlementaire,
Je n'aurais, ma foi, qu'à me taire.
Mais il n'en est rien, par malheur !

Laissant là toute réprimande,
Que font-ils de tout ce papier
L'emploieraient-ils à copier
La Bible ? je me le demande.

Est-ce qu'ils l'utilisent pour
Ecrire leurs sombres mémoires ?
Des articles ? ou quels grimoires ?
Que sais-je ? des lettres d'amour

On veut croire - à leurs légitimes ?
C'est si flatteur dans ce décor
Ou bien s'en servent-ils encor
Pour des usages plus intimes ?...

Si touffu que soit leur courrier,
Ils ont bien du papier de reste ?
Que s'ils n'en ont pas, malepeste !
Pourrait-on alors s'écrier.

Quoi qu'il en soit de nos bonhommes,
Qu'ils écrivent à tour de bras
Ou non - ce n'est pas l'embarras,
C'est nous qui pour nos frais en somme.

J'eusse pris les Dieux à témoins,
Pourtant, que cet aéropage
Devait palabrer davantage
Et, par contre, épistoler moins.

D'autant - me suis-je laissé dire -
Et c'est ça le plus curieux,
Qu'on en peut compter parmi eux
Qui ne savent pas même écrire !


RAOUL PONCHON
le Journal
22 mai 1909




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