11 oct. 2007

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L'EAU ET LE GIBIER
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On peut conjurer les troubles digestifs
occasionnés par le gibier en buvant de l'eau de X.
(Réclame de journaux)



O Grimod de la Reynière !
Tu l'as entendu, du haut
De ta demeure dernière,
Cet admirable idiot.

De l'eau comme antisepsie
Des microbres du gibier !
Voilà bien une ineptie
Faite pour stupéfier.

Il s'agit, je le confesse
Volontiers, au cas présent,
D'une eau d'une rare espèce
Digestive, soi-disant.

Vous n'attendez pas, j'espère,
Que je vous dise le nom
De cette eau que le compère
Nous préconise, ah ! Dieu non !

Nous vois-tu pas, ô mon âme,
- Quelle qu'elle soit d'ailleurs, -
Lui faire de la réclame ?
Nous n'aurions pas les rieurs...


*
* *

De l'eau ! pauvre Boniface,
Sur de chaude venaison,
Sur du gibier, cela passe -
Tu m'avoueras - la raison.

Du gibier noyé d'eau claire !
Voilà qu'il serait nouveau,
Alors qu'on ne la tolère
Même en mastiquant du veau.

De lièvre manger un râble
En ne buvant que de l'eau !
Y penses-tu, misérable ?
Faut-il avoir un culot !

S'appuyer une bécasse
Sans l'égayer d'un corton !
Autant ronger la carcasse
D'une volaille en carton.



*
* *

Car il est indiscutable,
Autant comme indiscuté,
Que cet honneur de la table,
Le gibier, fut inventé

Par la môme Providence
Pour accompagner le vin
Et le rendre plus intense.
Tout autre breuvage est vain.

Le gibier, en quelque sorte,
Lui-même protesterait
Si l'eau lui servait d'escorte.
Un perdreau, quand il serait

Réduit en capilotade
Au sein de mon estomac,
Criera comme une pintade
Si je le noie en un lac.

*
* *

Garde ton eau pour ta douche.
Tu en as besoin tantôt,
Ou fais-en des rince-bouche ;
Encore, c'est beaucoup d'eau !

Garde-la dans ta boutique ;
En tous les cas, scélérat,
L'eau, loin d'être antiseptique,
Est source de choléra.


RAOUL PONCHON
le Journal
28 sept. 1908



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