5 oct. 2007

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L’INVISIBLE

Tel va chercher de la laine
qui revient tondu.


Comme il court, comme il court, ce fier Dewet ! voyez
Par les monts par les vaux, les maquis, les halliers,
Par les kopjes et par les brousses,
Par la campagne ardente et la sombre forêt
Sans trêve ni repos, jour et nuit, on dirait
Que cent diables sont à ses trousses.

Attaque-t’il ou bien fuit-il ? Il fait les deux.
Que s’il n’accepte pas le combat hasardeux
Pour ménager ses maigres troupes,
Il l’impose plus loin, à son heure, à son gré ;
Et lorsque l’ennemi le croit évaporé,
Il l’a justement à ses croupes.

Ce Dewet est superbe ! Et quand, sur son cheval
Il va, il vole et sillonne en tous les sens le Transvaal
A voir cet homme et cette bête
L’un à l’autre collés, vrai monstre extravagant,
Tu croirais voir la Mort qui passe, l’Ouragan
Eperonné par la Tempête.


Ce général d’occase est autant au-dessus
Des professionnels, que le nommé Jésus -
Si j’ose - l’est sur ses disciples.
Il se trouve à la fois partout ; en vérité
Est-ce qu’il jouirait du don d’ubiquité ?
Il est double, triple, multiple.

Le soir, quand les Anglais, clos dans leur campement,
Rosbriffent, épuisés, et se croient, notamment,
A l’abri de toute embuscade,
Dewet l’improviste arrive à pas de loup,
On ne sait d’où, comment, et tombe tout à coup
Au milieu de leur marmelade.

Le Sirdar Kitchener, le héros d’Ondurnam
* *
Donnerait volontiers pour prendre ce quidam
Qui lui taille ainsi des croupières
Sa renommée acquise en maints combats passés,
Et ses lauriers trop verts indûment ramassés
Dans on ne sait quels cimetières.

Il donnerait aussi son titre de Sirdar,
Que sais-je, moi ? Ses " Commentaires de César "
Oùsqu’il apprend la stratégie,
Et qui sont, m’a-t-on dit, son livre de chevet,
Pour prendre ce Dewet, ce centaure Dewet
Qui tient de la mythologie.


Il donnerait encor ses braves highlanders,
Qui ont des pantalons mais qui n’en n’ont pas l’air ;
Son plus intime camarade,
Ses mules qui font proutt, ses canons qui font pou !
Ses Maxim’s, Remingtons et ses balles dum-dum,
Aussi sa part de marmelade ;

Il donnerait son flair bien connu d’artilleur,
Ses rentes, ce qui est encore plus meilleur,
Et sa future Jarretière ;
Il donnerait son Dieu, son Roi, son Chamberlain
Et tout le bataclan, et son âme au Malin,
Qui l’attend en sa grande soupière.

Tout ! pour avoir Dewet prisonnier devant lui,
Qu’il croit toujours tenir en ses lacs, et qui fuit
Ainsi que fait l’eau dans un crible.
Hélas ! non seulement il ne peut pas l’avoir,
Mais encore il ne peut parvenir à le voir,
L’insaisissable ! l’Invisible !




RAOUL PONCHON
le Journal
25 fév. 1901


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