5 oct. 2007

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LE DEVOIR
du
VINGTIEME SIECLE

Je vais vous le dire, en substance,
Le devoir du siècle nouveau,
Dussé-je, pour la circonstance,
Me déralinguer le cerveau.
*

S'il ne s'agit que de la France,
- Le reste nous importe peu, -
Dedans mon âme et conscience,
Sérieusement je crois que

Le devoir du vingtième siècle
Sera d'abord, sauf accidents,
De fournir une rime à Thècle,
*
Comme le siècles précédents.


Car, au pays du vaudeville,
Du boeuf gras et de Jeanne d'Arc,
" La rime est tout - a dit Banville -
*
Mon cher cousin, Gabriel Marc. "

Il est évident, pour ce faire,
Qu'il n'a qu'à se croiser les bras.
Mais son destin est plus sévère,
Il a des devoirs plus ingrats...

Il devra reprendre l'Affaire
Capet, dont on ne sait qu'un zest,
Malgré l'effort de mon grand-père :
" Adhuc sub judice " Lys " est. "
*

Il en tirera deux moutures,
Quitte à se réfugier dans
Le maquis de la procédure,
Loin des gendarmes obsédants.

Ainsi que jadis et naguère,
Il devra par tous les moyens
Agiter la torche de guerre
Entre les braves citoyens ;

Puisque, sur notre sol immonde,
A ce qu'il paraît, il n'y a
Pas de place pour tout le monde,
Tuons-nous donc. Alleluia !


Il devra fomenter les grèves,
Et multiplier les impôts,
Pour que les uns vivent leurs rêves,
Pour que les autres paient les pots.

Il devra chercher la crapule
Qui coupa la France en morceaux,
Et qui les sema, sans scrupule,
Dans les égouts et les ruisseaux.

De même, il faudra qu'il décore
Tout Français, sans exception ;
Celui qui ne l'est pas encore
Discrédite la Nation.

Il devra se montrer hostile
A l'art suranné des Zeuxis :
*
N'est-ce point au moderne style
Que nous devons les " Médicis " ?

Il devra faire que les mères,
Malgré ce qu'en pense Brieux,
*
Gardent leurs procédés mammaires
De " remplaçantes " pour les fieux.

Pourtant, si tel enfant fut sage,
J'espère bien que sa maman
Lu fera part de son corsage,
Mais le dimanche seulement.

Je crois, sans que je le parie,
Que le siècle nous donnera
La générale de " Patrie " :
Vivra longtemps qui la verra...


Bref, disons que ce siècle, en somme,
Aurait beaucoup à remuer,
Et qu'il se contentera, comme
Le nègre, de continuer.




RAOUL PONCHON
le Journal
4 mars 1901





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