3 oct. 2007

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Mme Curie
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Mme Curie se présente à l’Académie des sciences.


J’ignore le nom, pauvre rustre,
Du savant mort dernièrement.
Mais, sans doute, il était illustre,
Puisqu’il était du bâtiment ;

J’entends par là, l’Académie.
Il faut donc, sans tergiverser,
Et pour la bonne économie
De celle-ci, le remplacer.

Or, il se trouve, d’aventure,
Une femme qui, tout d’abord,
A posé sa candidature
Au fauteuil laissé par ce mort.

D’aucuns n’y trouvent rien à dire,
Et volontiers, sans parti pris,
Seraient disposés à l’élire,
Mais d’autres poussent les hauts cris.

On se croirait aux temps Etrusques,
Ma parole d’honneur ! Où l’on
Renvoyait la femme à ses frusques.
C’est le progrès à reculons.

« Une femme - disent-ils - une
Femme, au sein de notre Institut !
Nous ne sommes pas dans la Lune.
On sait bien que notre statut

« S’y refuse avec énergie.
Après une il en viendrait deux…
Ce serait une vraie orgie.
Allez donc voir si ces messieurs

« De la section littéraire
Admettent les femmes chez eux… »
Je ne vous dis pas le contraire.
Aussi, s’agit-il pas d’iceux.


Alors, parce que vos collègues
Des lettres - supposons ceci -
Seraient, par exemple, un peu bègues
Vous devez bégayer aussi ?

Autant dire que moi, l’ours fauve,
L’Absalon, chevelu verveux,
Parce que mon voisin est chauve
Je dois m’arracher les cheveux ?

*
* *


Vous autres, hommes de science,
Loin de tomber dans ces godans,
Vous devriez, en conscience,
Vous montrer plus accommodants

Vous vous attardez à la jupe
De cette femme, c’est crevant !
Que le seul souci vous occupe
De voir en elle le savant.

Si cette femme de génie
Est digne, de par ses travaux,
D’entrer dans votre compagnie
Qu’elle entre. Nous crirons bravo !

Je ne connais ni veux connaître
Ses concurrents, même de loin.
Mais parmi, s’en trouvent peut-être
Qui ne la valent du tout point.

Et pour clore ici la dispute,
Je dis qu’à mérites égaux,
Elle devrait, de haute lutte,
L’emporter sur tous ses rivaux.


Vous savez le fond de mon âme,
A cette heure - et je suis à jeun…
Justement parce qu’elle est femme,
Elle a tous les titres - plus un.



Raoul Ponchon
Le Journal
29 nov. 1910




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