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Charcuterie mêlée
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Aujourd’hui, pour changer,
Puisque cela t’amuse,
Ma muse,
Nous parlerons manger.
Frances, reine des caves,
L’un, de toi ne connaît
Qu’ Ohnet ,
Et l’autre que Descaves ;
Celui-ci vantera
Tes femmes si parfaites,
Tes fêtes,
Celui-là te dira
Qu’il aime la peinture
D’un appétit glouton,
Ou ton
Âpre magistrature :
Tous ont raison. Mais sans
Vouloir te faire injure,
Je jure
Qu’un de tes plus puissants
Titres, ô ma patrie,
A mon constant amour,
C’est, pour
Sûr, ta charcuterie !
Dès le premier abord
Je la trouve suprême,
Et même
Au deuxième rabord.
Ce n’est pas qu’il n’en vienne
De l’étranger aussi :
Oh , si !
Mais j’aime mieux la tienne.
Elle a je ne sais quel
Air pimpant, quelle mine
Gamine,
Quel tour spirituel :
On voit que des artistes
La font en se jouant,
Ou en
Qualité d’alchimistes.
Et bien qu’à tes six coins
Le charcutier sévisse,
Pâtisse
Pour suffire aux besoins
De ta gueule en délire,
O France, mes amours,
Toujours
Est-il que l’on peut dire
Que si ton cerveau bout
A Paris : ton vrai centre,
Ton ventre
Est à peu près partout.
*
* *
Moi, je courbe l’échine,
Que vous soyez d’ici,
D’Issy,
De Pontoise ou de Chine,
Devant vous, charcutiers.
Je vous déclare insignes,
Et dignes
D’être mes héritiers.
Sous vos doigts invisibles,
- O merveille de l’art -
Le lard
Devient fleurs comestibles.
Le cochon, Parmentier
Modeste de la truffe,
Ce muffle
Exquis se livre entier,
Oui, cet être sans vices
Se prête d’un cœur prompt,
Se rompt
A vos moindres caprices ;
Et d’un bras jamais las
Vous fouillez ses entrailles,
Canailles !
Avec vos coutelas.
Car cette bonne bête
Est de délice un puits
Depuis
Les pieds jusqu’à la tête.
En elle tout est bon,
- A dit Monselet Charle -
J’en parle
Moi, comme d’un bonbon.
Mon Dieu, mes bons apôtres,
Qu’est-ce que cela ? Peuh !
Bien peu ;
Vous en faîtes bien d’autres.
Viandes, poissons, gibiers
Sont autant de matières
Premières
Qu’à votre art vous pliez…
*
* *
Mais voici que mon ventre
Tombe sur mes talons ;
Allons…
Que chez l’un de vous j’entre !…
Ce spectacle esculent
Donne une fin de tigre -
Oui bigre,
Une soif de uhlan.
Voilà, je le confesse,
Des mets pleins de ragoût,
De goût
Et de délicatesse.
Va, tu tiens en échec
Avec ce jambon rose,
Si j’ose…
Tous les Rembrandt du Pecq,
Mon cher ; les chairs exquises !
Dignes du roi Priam,
Miam, miam ,
Ou pour dents de marquise.
Mes bras émus, tremblants,
Voudraient tenir, éteindre,
Epreindre
Ces marbres succulents ;
Permettez que j’y touche,
O charcutier charmant ?…
Vraiment
Cela fond dans la bouche,
Sont-ce là des gâteaux ?
Non, mais des citadelles
Modèles,
De fastueux châteaux.
Parbleu ! Je veux les prendre
- cela n’est pas si sot -
D’assaut,
S’ils ne veulent se rendre.
Buvons toujours un coup,
J’ai là de la vinasse
En masse
Pour me graisser le cou.
Ah ! bougris de tartufes,
Comme vous m’appâtez,
Pâtés
Avec vos yeux de truffes !
Massifs pâtés de thon,
Je pense à vous en rêve,
Sans trêve,
Et branle du menton ;
Légers pâtés de truite,
Sous mes dents de vautours
Vos tours
Vont être tôt détruites.
Et vous, de Pithiviers,
D’Amiens… Alouettes;
Mauviettes,
Canards, perdreaux, pluviers !,
Pâtés de toute sorte,
Par la terre et les cieux !
Messieurs,
Qu’aucun de vous ne sorte ;
Je veux vous faire un sort
Fussiez-vous chair de singe,
Ou bien je
Ne suis qu’un hareng saur ;
De même à ces terrines
Filles du Périgord
Où dort
Ce nectar de narines,
La truffe, emmi des foies
Gras. Ces Périgourdins !…
Quels daims
Voulaient qu’ils fussent oies ?…
On me trompait encore…
Mais ça, continuons,
Tuons
La soif qui me dévore.
Et maintenant passons
Aux mêmes exercices :
Saucisses,
A nous ! Et saucissons !
J’empoigne sans vergogne
Arle et Lyon d’abord,
Ta mort-
-adelle, toi, Bologne,
Ton saucisson, Milan,
Qui, parait-il, ma chère,
Peut faire
Rêver le gros Milan ;
Parmi les plus en vue
J’en passe et des meilleurs…
D’ailleurs
Nous sommes de revue.
Hures, j’ai faim de vous,
Qu’étoile la pistache.
J’attache
Ma vie à vos… genoux,
Saucisses grivelées,
Fins jambonneaux bardés
Par les
Topazes de gelées,
Et rillettes de Tours
Savamment triturées,
O vraies
Tartines de velours !
Il faut que je patrouille
Aussi quelques boudins
Badins,
Quelques mètres d’andouille.
Dévorons en passant
Ces langues parfumées
Fumées,
Et, rien que pour l’accent,
Puisqu’elle est sur ma route,
Ta saucisse, Francfort,
Qui dort,
Strasbourg, sur la choucroute ;
Tes pâtés, confits d’oie,
Toulouse, et Dieu merci !
Aussi
Tes andouillettes, Troye,
Tes pieds, ô Ménehould,
Qui sans effort s’avalent
Et valent
Tout l’or de monsieur Gould.
Côtelettes panées,
Je suis à vous : eh quoi
De moi ?
Si vous n’étiez pas nées…
N’aurais-je donc plus faim ?
Je n’en crois pas mon ventre…
Que diantre !
Crétin, attends la fin…
O bouteilles trapues
Pleines de condiments,
Piments
Chers aux lèvres lippues,
Cornichons pustuleux,
Pour des faims inquiètes
Qui êtes
Si tant miraculeux,
Venez à ma rescousse…
Je sens mon appétit
Petit
A petit qui repousse…
Mais je n’ai plus de pain,
Tant pis ; par Notre-Dame !
J’entame
Ce pâté de lapin…
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