8 oct. 2007

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DEFENSE DES BOUQUINISTES

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Il n'est pas une de ces installations sur les quais
qui n'ait un casier où s'entasse tout ce que la
license a produit de plus honteux...
BERENGER.
(Echo de Paris, 24 mars 1906.)


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O Bérenger ! toi que j'admire,
Certes, plus que je ne puis dire,
Quand tu fais la guerre aux journaux,
Aux estampes, ainsi qu'aux livres
Pleins d'imaginations ivres,
Inaristiques et pornos ;

Aujourd'hui, ton zèle s'égare,
Je crois bien, quand, sans crier gare,
Tu nous prétends que sur les quais,
Dans les boîtes des bouquinistes,
Ces modestes étalagistes,
D'infâmes livres sont risqués.

S'il en est, où donc qu'on les fourre ?
Apprends-le-moi, pour que j'y courre,
A moins que je fasse un détour ?
Je les ignore. Et je puis dire,
Cependant, que, depuis l'Empire,
Je fais les quais deux fois par jour.

Je n'ai vu le long de la Seine
Aucune gravure malsaine,
Aucun livre licencieux ;
Et je pourrais ajouter même
Que c'est au désespoir extrême
Des jeunes et des vieux messieurs.


Ces livres-là sont rarissimes,
Ce n'est pas avec des décimes
Qu'on les paie à l'hôtel Drouot.
Il faut des amateurs très riches
Pour s'offrir ces livres godiches,
En général cotés très haut.

Ils vont dans les bibliothèques
De certains anthropopithèques
Et bibliophiles manqués
Dont ils font les sombres délices ;
Ils restent donc dans les coulisses
Et n'arrivent pas jusqu'aux quais.



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* *


Non, non, modestes bouquinistes,
Vous êtes bien trop rigoristes.
Ah ! qu'il s'en faut que vous osiez
Etaler des livres infâmes
Qui souillent les yeux et les âmes,
Dans vos poussiéreux casiers.

Ils ne sont pleins que d'épluchures,
Tomes dépareillés, brochures,
Que vous achetâtes au poids
Pour en tirer quelque mouture,
Et dont bercera " sa culture "
Un vieux maniaque aux abois.

Si quelque livre affreux s'attarde
En vos casiers, c'est par mégarde
Qu'il s'est glissé dans votre lot.
Il n'y fait pas long feu, du reste,
Car bientôt qui vous en déleste
Se trouve un amateur falot.

Pour moi, depuis que j'y farfouille,
Je suis toujours rentré bredouille.
- On peut en croire un débauché, -
Jamais une oeuvre de licence
N'est venue à ma connaissance,
Et Dieu sait si j'en ai cherché !



RAOUL PONCHON
le Journal
26 mars 1906




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