8 oct. 2007

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LE ROI DE LA FEVE
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Je suis le roi ! voici la fève !
Et je vaux deux présidents.
Mais que la peste la crève,
Elle m'a cassé deux dents.

Je veux Margot, ma voisine,
Jusqu'à mon trône élever.
Car je crois qu'on m'assassine,
Sitôt qu'on me fait lever.

Plus tard je verrai peut-être
A lui mouler un dauphin...
Pour l'instant, je sens renaître
Ma soif ainsi que ma faim.

Ca, je suis le roi. Ma couronne,
Qu'est-ce donc qu'elle sera ?...
Un baiser de la patronne
Sur mon crâne suffira.

Mes glaive et main de justice,
Sortant de l'incognito,
Seront, que chacun frémisse !
Ma fourchette et mon couteau.

Maintenant, que l'on me verse
A boire de quelque Arbois...
Car, je deviens - à l'inverse
D'aucuns, - meilleur quand je bois.

Boire est tout mon caractère,
Et ma fonction aussi.
Si tous les rois de la terre
Me ressemblaient.... Dieu merci,

Chacun d'eux vivrait, je pense,
D'accord avec son voisin,
A moins qu'il ne manigance
Pour lui voler son raisin.


Leurs peuples seraient tranquilles,
Comme est le mien que voici.
Ils vivraient dans des idylles
Sans querelle et sans souci.

Et tenez : moi votre maître,
Je lève tous vos impôts
Pourvu que vous vouliez mettre
Quelque chose dans mon pot.

Ne le laissez jamais vide,
Ni mon assiette non plus,
Vous seriez des régicides
Et des salopiots inclus.

Tout ce que je vous demande
C'est de m'obéir en tout.
Cela, sous peine d'amende.
Quand je bois, buvez itou.

Je ne rêve pas de gloire
Je ne tiens pas à laisser
Un grand renom dans l'Histoire
Ni non plus coloniser.

Mes terres ne soient rougies
Uniquement que du sang
Bachique de vos orgies.
C'est amplement suffisant.

Si vous avez des querelles
Vous les viderez plus tard.
Vous êtes sous ma tutelle
Jusques à minuit un quart.

Qu'est-ce que mon peuple risque,
D'ailleurs ? Rien, je ne crois pas.
Mon règne n'est pas long, puisque
Il ne dure qu'un repas.

Je veux le rendre équitable
Et que mon nom soit béni.
Quand je serai sous la table,
Ce règne sera fini.

Je serai content pourvu que
On ne dise pas de moi :
" Des pieds jusques à la nuque,
Ce fut un bien méchant roi. "



RAOUL PONCHON
le Courrier Français
3 janvier 1904
Muse gaillarde



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