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Le Dr Doyen chez Barnum
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Or, notre grand chirurgien
National, monsieur Doyen,
Le ciel à jamais m'en préserve !
Se sentant le scalpel en verve,
Se dit comme cela : Hum, hum !
Pendant que j'y suis, quoi m'empêche
De charcuter s'il y a mèche
Tous les monstres de chez Barnum ?
Ce serait oeuvre pie et gloire
Dont on garderait la mémoire.

Il obtint le consentement
D'à peu près tous ces phénomènes
A l'aide d'un fort argument.
Quant à celles de ces humaines
Horreurs ne voulant rien savoir,
Il prit ses pinces et ses scies,
Ses lardoires à autopsies,
ses scalpels et ses bistouris,
Ses couteaux, ses crocs et ses cries
Et ses aides et ses internes,
Et ceux qui tiennent les lanternes.


Le premier monstre qui s'offrit
Ce fut l'homme-chien. Il le prit,
Et - que voilà qu'il n'est pas bête ! -
Lui tira la peau de la tête.
Car il n'allait pas s'amuser,
Vous pensez bien, à le raser !
Bien qu'elle invoquât sainte Barbe,
Même sort eut la femme à barbe.
"Remarquez, messieurs, disait-il,
Comme les voilà plus gentils !

" Passons à cet hydrocéphale
Dont la tête est comme une malle.
Tenez, la pince que voici,
De mon invention, est si
Savamment combinée, en somme,
Qu'un jeune enfant - pas même un homme -
Avec elle exerce, au besoin,
La forte pression d'au moins
Mille kilos ! soyez témoins."

D'un geste il écrasa la tête
Du monstre comme une noisette.
" Vous voyez, ça n'est pas malin :
Quatre secondes, montre en main.

" Maintenant, il faut que je dompte
L'homme dénommée mastodonte.
Pour cela je suis convaincu
Qu'en lui fourrant dedans le cu
Une bonne pompe aspirante
De la force à peu près de trente
Ou quarante mille chevaux,
Je lui tire tripe et boyaux...
Allons, messieurs, à la besogne,
Montrons que nous ont de la poigne. "

Aussitôt dit, aussitôt fait.
Ils pompèrent l'homme en effet
Qui, dans un temps du plus rapide
Devint une outre flasque et vide.
On remplit deux ou trois tonneaux
De graisse, tripe et boyaux.

" Seigneur ! disait l'homme squelette
Qui dodelinait de la tête,
En voilà-t-il du bien perdu ! "
Doyen qui l'avait entendu,
Dit : " J'y pensais, mon pauvre frère . "
Et sur le maigre individu
Fit l'opération contraire...


RAOUL PONCHON
le Courrier Français
02 fév. 1902