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La Potence
.A l'époque où l'on ne connaissait pas encore,
O Guillotine ! tes bienfaits,
On pendait haut et court les gens, nul ne l'ignore,
Pour obtenir mêmes effets.
Chaque commune avait au moins une potence,
Parfois même elle en avait deux.
Ca dépendait de son plus ou moins d'importance.
Ca ne me semble pas douteux.
Or, un jour au pays où se meut mon histoire,
Entre Quimper et Corentin,
Et qui répond au nom de Villedieu-les-Poires
- Vous verrez ça dans le Bottin -
Un affreux criminel qui pendant des années
Avait la terreur répandu
Dans la campagne, vit ses fautes condamnées
Jusqu'à devenir pendu.
Par malheur, la potence était bien fatiguée.
Elle n'avait jamais été
D'ailleurs longtemps vacante. Elle, jadis si gaie
Et pimpante au soleil d'été,
Se trouvait hors d'usage. Aussi se rompit-elle
Sous le poids de notre bandit.
Que faire ? Eh bien, en fabriquer une nouvelle.
Il n'y avait que ça, pardi !
On courut pour cela sans perdre une minute
Chez le plus prochain charpentier
Cependant que l'on réintégrait notre brute
En prison, sans nulle pitié.
Au bout d'une semaine, un matin dès l'aurore,
Sur la place on la vit surgir ;
C'était une potence en bois de sycomore.
On s'y fut pendu par plaisir.
Pour les gens du pays ce fut une âpre fête.
Notre héros en eût sa part.
Et la justice était des hommes satisfaite
Vers les cinq heures pour le quart.
* *
A quelque temps de là, la commune voisine
Bien comme par hasard avait
Egalement une fripouille à pendre, une vermine,
Mais il lui manquait un gibet.
Elle alla demander à Villedieu-les-Poires
De leur prêter un temps le sien.
Ce sont là de petits services, on veut croire,
Qu'on peut se rendre. Il n'en fut rien.
" Ah ! bien oui, plus souvent ! Prêter notre potence !
- Dirent les gars de Villedieu -
Vous ne voudriez pas ; surtout, pas d'insistance.
Faites-en une, nom de Dieu !
" Vous avez bien du bois chez vous, on imagine...
Des clous et puis des charpentiers ?
Il ne faut rien de plus pour ladite machine,
Ou bien vous n'êtes que des pieds.
" Oser nous emprunter notre potence ! merdre !
C'est avoir un fameux toupet !
Vous avez un bandit, ben, tâchez de le perdre,
Si vous n'avez pas de gibet.
" Ou bien, que voulez-vous ? jetez-le dans le fleuve,
Faîtes-le manger aux fourmis.
Nous en foutons. Quant à notre potence neuve,
Elle est pour nous et nos amis. "
RAOUL PONCHON
le Courrier Français
01 juin 1902
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