13 oct. 2007

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POLAIRE
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Quoi que vous en pensiez, Delorme,
Mon camarade in-folio,
Et malgré cette charge énorme
Qu’en font Sem et Cappiello,

Polaire est une femme exquise
Et j’aimerais notamment mieux
Cent fois être dans sa chemise
Que dans l’Olympe radieux.

Est-ce qu’il n’est pas des plus tristes
De voir cette charmante enfant
Traitée ainsi par des artistes ?
A peu que le cœur ne m’en fend.

Polaire est admirable, dis-je.
J’ignore malheureusement
Si, de plus, elle est callipyge
Et d’ailleurs fût-elle autrement

Qu’elle serait toujours parfaite.
Elle fut créée à souhait
Par le Seigneur, un jour de fête,
Fragile et délicat jouet.

Elle a la peau mate et dorée,
Des yeux… tenez, vous parlez d’yeux ?
Les autres sont de la purée
A côté des siens. Ses yeux ! Dieux !

Ses yeux sont incommensurables,
Vaste comme des univers,
Dirait Montoya, formidables,
Infinis, lointains et pervers.

J’aime le métal de son rire
Et ses gestes désordonnés.
J’en sais qui se feraient occire
Pour le bi du bout de son nez.


Que vous dirai-je de sa bouche ?
Ah ! sa bouche ! Maginez-vous…
Et son pied ! C’est un oiseau mouche.
Et quant à sa taille, c’est fou.

Malgré votre taille de guêpe
O Hugue ! elle vous fait le poil.
Il faut en faire votre crêpe…
Ou votre deuil, ça m’est égal.

J’ajoute qu’elle a du génie ;
Encore que quelques ferlempiers
Abîmés de neurasthénie
La bousculent dans leurs papiers.

Et dût-on me traiter de mule,
Je dis qu’en Claudine à Paris
Elle me semble être l’émule
Des Rachels et des Ristoris.

Croyez-le bien, le temps est proche
Où, plus maîtresse de son art,
Elle vous mettra dans sa poche
Les Bartet et Sarah Bernhardt.


Que si cette vieille baderne
De Clarétie avait le flair,
Le sens du Théâtre moderne
Il l’engagerait tôt, c’est clair.

Quoi qu’il en soit,mon cher Delorme,
Cette étoile du firmament
A tout pour elle, fonds et forme,
Bien qu’éclose nouvellement.


Et, je le jure sur mon âme,
S’il t’arrive encore, inhumain,
De gouailler sur cette femme,
Tu ne mourras que de ma main.



RAOUL PONCHON
le Courrier Français
02 fév. 1902


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