13 oct. 2007

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LE NEZ
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L'autre jour, pour me distraire
Des horreurs de cette guerre
Entre Russe et Japonais,
- D'autant à ma joie extrême,
Que c'était la Mi-Carême,
Je me suis mis un faux nez.

Pas un nez de poitrinaire...
Un nez extraordinaire,
Dedans lequel en garno
Eût pu loger fort à l'aise
Celui, ne vous en déplaise,
De Monsieur de Cyrano.

Un nez superhébraïque.
Il fallait être héroïque
Pour l'arborer. En effet,
On eût dit une gargouille ;
Mais, comme toujours, il mouille
Ce jour-là. C'était parfait.

Me voici donc dans la rue,
Emmi la foule bourrue,
Avec ce nez triomphant ;
Pour l'un, j'étais le tragique
Monarque de Belgique,
Pour l'autre, un jeune éléphant.


Fort heureux, en fin de compte,
Qu'on se trompât sur ma trompe,
J'étais plein d'un doux émoi ;
J'ai toujours une grande envie
De traverser cette vie
Par tous ignorée, fors moi.

Je suivis de préférence,
Comme aussi par déférence,
Un char où quelques beautés
Faisaient cortège à la Reine,
Me croyant à la sereine
Epoque des royautés,

Et plus j'étais anonyme,
Et plus dans mon for intime,
J'allais me gorgiasant.
Mon Dieu, qu'il faut peu de chose
Pour voir l'existence en rose !
Un nez, c'est très suffisant.

Tout à coup dans cette foule,
Un bras sous mon bras se coule ;
C'est une marquise - au moins
Qui sans hésiter me cueille,
M'invite à son portefeuille
Et me veut voir sans témoins.

Elle avait dû, j'imagine,
Tiquer sur mon aubergine ;
Et dans son illusion
Me jugeant à son échelle,
En tirer je ne sais quelle
Flatteuse conclusion.


Je suivis la demoiselle ;
Mais en arrivant chez elle,
Mon nez était détrempé,
Et pendant comme une loque,
Si bien que notre colloque
Fut court sur le canapé.

Elle me fit une escorte
De coups de pied à la porte
En me traitant de feignant...
- Ce qui prouve bien, en somme,
Que le nez ne fait pas l'homme.
Je l'aurai cru, cependant ...


Raoul Ponchon

le Courrier Français
13 mars 1904

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