2 oct. 2007

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M. Jourdan pendant une période de trente-cinq ans a absorbé 22,400 bouteilles
de G.-H. Mumm Cordon rouge !
Ci-gît un enfant de Silène qui soutint tant qu’il put l’honneur du cabaret.
Il but toute sa vie, et jamais sans sujet. A vingt ans il buvait pour oublier Climène
A trente, par oisiveté,
A quarante, il noyait la sombre inquiétude ;
Ce fut à cinquante ans une vieille habitude
Qui devient à soixante une nécessité.

(Epitaphe de Saint-Amant.)
* *



O Jourdan, homme insigne,
Entre tous buveurs digne,
Par les dieux protégé
Comme par la Comète,
Soixante ans sur la tête
– Paraît-il – ont neigé !

C’est incompréhensible.
– Paraît-il – c’est possible…
Mais il n’y paraît pas.
Je sais des personnages
Qui sans avoir ton âge
Sont plus que toi papas.

J’ai presque envie, en somme,
De t’appeler jeune homme…
Mais comment as-tu fait
Pour que soixante années
Sur d’autres acharnées
Aient sur toi nul effet ?

Et surtout, quand on pense
Que tu mis dans ta panse,
Pendant trente-cinq ans,
Vingt-deux mille bouteilles
De nos rémoises treilles,
Plus – dit-on – quatre cents !

C’est vrai que toi qui bouges
Pour le Mumm Cordon Rouge,
De l’un à l’autre coin
De l’univers visible,
Il serait trop risible
Que tu n’en busses point.



Ah ! tu prêchas d’exemple
D’une sorte assez ample,
Car tu n’es pas de ceux
Qui battent la campagne
Pour un doit de champagne,
Les vilains paresseux..

Tu sablas plus de coupes
Entre poires et soupes
– Et, gare l’avenir,
Il faut compter avecque –
Que, si j’étais évêque,
Je n’en pourrais bénir.

Si, comme dit cet autre…
Ne sais plus quel apôtre :
Le vin contient de l’or,
Par la sainte Madone !
Ton ventre qui bedonne
Doit cacher un trésor.

Vingt-deux mille bouteilles !
En crois-je mes oreilles ?
Je les en crois, d’abord
Quant à moi, pauvre fifre
Rien qu’en scandant ce chiffre
Je me sens ivre-mort.

Mais tout ça c’est pour dire...
Que diable, il faut bien rire !
Il est fort évident
Que ton Mumm Cordon Rouge
N’est pas né à Montrouge,
Brave père Jourdan.



Il est indiscutable,
C’est l’honneur d’une table,
C’en est la joie aussi ;
Et jamais dans la tête
Il ne souffle en tempête
Comme un cru de Bercy.

Non, il n’est pas sévère ;
Mais, comme dans le verre
Il est impatient !
Plus léger qu’une plume
Il mange son écume
De soi-même friant.



Raoul Ponchon
le Courrier Français -18 juin 1899

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