2 oct. 2007

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Sensations de Bretagne
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A Charles Bernard

Penses-tu donc en nos auberges
Où si mal, dis-tu, tu t’héberges,
Ne trouver que des demi-vierges ?
Car elles ont pour amants, dès
Qu’elles ont leur dix-sept ans des
Terr-neuvas et des Islandais…
(CH. Bernard.)



Jeune homme au monocle ironique,
Tu n’as pas bien lu ma chronique,
Ou bien je fus trop laconique.

Faudrait que j’eusse un hanneton,
En vérité, pour blaguer ton
Héroïque pays breton.

Le pays breton ! mais je l’aime
Bien plus que tu ne fais toi-même,
Voire, je l’érige en système.

Il est ma vie, il est mon vin !
Qu’on me jette dans un ravin,
Si tout autre, auprès, ne m’est vain !

Ne t’en donnais-je pas la preuve
Depuis trois mois que je me treuve
Au sein de la cité pléneuve ?

Oui, je l’aime ce pays-ci.
Dieu le préserve ! et vous aussi,
Notre-Dame de Bon Merci !

J’aime ses genêts d’or, ses landes…
Et ses tant naïves légendes,
Et ses marins vers les Islandes…

Sa mer rugueuse, ses ciels gris,
Ses poètes et ses conscrits,
Ses poissons retour de Paris ;

Ses moutons, ses veaux et ses vaches.
Mais mon ami, que tu le saches,
Ton pays lui-même à des taches.

* *



Je ne viens pas, mille pardons !
Au noble pays des Pardons
Soit par mon prestige, ou par dons,

Suborner tes sombres pucelles
Du moins celles qui, dans tes zèles
Sous ce titre tu me décèles,

Je sais, parbleu, depuis longtemps
Que dès qu’elles ont dix-sept ans
Elles logent chez l’habitant.

Sous ton mépris ne me submerge…
Je ne viens pas dans tes auberges
Pour y trouver les moindres vierges.

Je sais qu’elles attendent des
Terr-neuvas et des Islandais.
Hé ! ce sont de fameux cadets.

Vois-tu, ce que je leur reproche
N’est pas tant leur hargneuse approche
A tes vierges au cœur de roche ;

C’est de n’avoir pas de nichons,
Pas les plus petits cabochons.
Et tu trouves ça folichon ?...

Oui, toutes me sont apparues
Aussi plates que des morues.
Sur quoi les Islandais se ruent…



Raoul Ponchon
le Courrier français - 22 sept. 1901



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