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EAUX DE TABLE

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En France, on ne boit plus de vin.
Bientôt, au cours du siècle vingt,
Ce ne sera plus qu'un mot vain.

Un mot vain ! quelle comédie !
Lui, par qui toute maladie
Est réduite à rien, quoi qu'on die .

Le Vin qui n'est que pourpre et qu'or,
Et qu'il faudrait aimer encor
Ne fût-ce que pour son décor,

Le Vin, boisson des Dieux, des papes,
Véritable fleur de nos nappes,
A disparu de nos agapes.

Ils l'ont tué, les assassins
- Je veux parler des médecins -
Il contrariait leurs desseins.

Ils l'ont remplacé sur les tables,
Par les eaux les plus impotables,
Pour se venger, les misérables !

Mais comment cela se fit-il ?
Comment le Vin, cet or subtil,
S'est-il changé en un plomb vil ?...

Je ne sais plus quel être ignoble
Fit aux vignes de tout vignoble
Une conduite de Grenoble.

Il a dit : " C'est lui l'animal,
Le Vin ! d'où nous vient tout le mal.
Il est l'absurde et l'anormal :


Le pourvoyeur du cimetière,
Il faudrait sur la terre entière
Déraciner la vigne altière. "

Sans croire à cet hurluberlu,
Les vignerons ne savaient plus,
Et demeuraient irrésolus.

Alors les vins les plus suaves,
Les plus certains et les plus braves,
Pourrirent dans la nuit des caves.

Ce fut le désastre. Depuis
L'eau prévaut sur le vin. Et puis
La cave est aujourd'hui le puits !

On ne voit plus que des malades
Traités ainsi que des salades,
Aussi quelles dégringolades !

On ne voit partout qu'avachis,
Le foie et le poumon blanchis
Par les Galmiers et les Vichys.

C'était encore une ressource
Avec certaines eaux de source,
Que l'on captait avant leur course ;

Il n'y avait pas de bobo,
Cela servait de lavabo,
Mais sans vous conduire au tombeau.

Aujourd'hui la faculté veille,
Et vous met la Seine en bouteille,
Bien préférable au jus de treille !

Et pourtant, disons le très haut.
Nous avons connu la vraie eau !
Mais c'est fini Gloria Deo !


RAOUL PONCHON
le Courrier Français
18 janvier 1906