10 oct. 2007

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ELEGIE

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De son cadavre, au fond des bois,
Wilson avait jonché la terre ;
L'Elysée était sans mystère,
La Limouzin était sans croix.
Seul et bien plus vieux que nature
Un Grévy, une fois encor
Traînait sa petite voiture
Dans son cher palais rouge et or :
" Toi que j'aime, adieu, je succombe,
" Que dis-je ? je suis déjà mort ;
" Chaque portefeuille qui tombe
" Me présage le même sort.
" - O somnambule extra-lucide,
'' Tu m'as dit : Tu ne toucheras
" Plus qu'une fois ton gros subside
" Ensuite tu te fouilleras.
" Le grand Général te balance,
'' Déjà sur ton crâne en silence
" Il agite sa large main ;
" Ta vieillesse sera fichue
" Avant qu'Onette ait sa statue
" Et pourtant, il l'aura demain.
" Et je meurs, la foule grossière
" Insulte à mes derniers moments,
" Et je vois voler en poussière
" Mes énormes appointements.
" O toi, fauteuil qu'on veut me prendre,
" Commode au point que j'y tiens huit,
" Cache au désespoir de mon gendre
" La place où je serai ci-gît.
" Mais, si Ferry, mon vieil Alcide,
" Précédé de sa proboscide
" Vient pleurer sur mon monument,
" Eveille par un craquement
" Mon âme de regrets avide. "
- Il dit, chancelle, en un hoquet
Exhale son âme qui tombe
Sur les lèvres de son Floquet.

C'est un billard qui fut sa tombe ;
On mit dessus l'essentiel :
Son fauteuil présidentiel
Et sa coupable tirelire.
Mais ai-je besoin de vous dire
Que le Jules Ferry n'alla
Jamais se promener par là ;
Que le bruit nul en quelque sorte
De l'herbe qui naît, seul troubla
Cette vieille nature morte.



RAOUL PONCHON
le Courrier Français
4 déc. 1887




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