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LES TROIS SOUHAITS
Un jour, un jeune couple aimable,
Au moment de se mettre à table
Dans une douce intimité,
Vit arriver à l'improviste
Un mendiant : " Dieu vous assiste !
Je demande la charité. "
" Asseyez-vous, lui dit la femme,
Mangez, dit l'homme. Sur mon âme
Vous êtes envoyé du ciel. "
Or, il se trouvait que cet hôtr
Etait justement de la haute,
Car c'était l'archange Azraël.
Dès qu'il se fut lesté la panse :
" Tout bienfait veut sa récompense,
Dit ce dernier, et vous l'aurez :
Vos trois premiers souhaits, mes braves,
Seront exaucés, gais ou graves,
Dès l'instant que vous les ferez.
" Adieu. Le ciel vous favorise ! "
Là-dessus, à leur grand surprise,
L'ange rentre dans le plancher.
Et le mari dit à la femme :
" Tu l'as entendu, ma chère âme,
Baste, allons toujours nous coucher. "
Dès au lit - c'était l'heure en somme,
La femme harcela son homme
Et lui réclama le devoir.
Et celui-ci, la bonté même,
Ne se fit pas prier : " Je t'aime "
Dit-il, et le lui fit bien voir.
Au beau milieu de leur délire
Elle dit avec un grand rire :
" Sais-tu quoi serait de mon goût ?
C'est absurde, idiot, stupide,
Mais je voudrais bien, mon Alcide,
Te voir avec des... nez partout. "
Comme elle terminait sa phrase,
Du sommet jusques à la base
Il sentit des nez, sur son corps,
Pousser de tous les sens, hirsutes ;
Les uns droits, d'autres en volutes,
Des mous, des rigides, des tors...
" Le tonnerre de Dieu t'emporte !
Pour m'avoir fichu de la sorte !
A t'on vu souhait plus hideux !
Heureusement, ma bonne amie,
Pour conjurer mon infamie
Il nous en reste encore deux.
" Souhaitons donc que disparaissent
Ces ignobles nez qui m'oppressent
Et sans cesse vont en croissant "
Et voilà ces nez en litige
S'évanouir... même, ô prodige !
Celui qu'il avait en naissant.
" Non, non, pas de cela Lisette,
S'écria la femme inquiète
Du résultat qui la flouait ;
Ton nez n'est pas un obélisque,
Mais il vaut mieux que rien. Et puisque
Il me reste encore un souhait :
" Que ton nez, mon homme, par grâce
Revienne à la normale place... "
Aussitôt dit, tôt accroché ;
Dîtes-moi si notre amoureuse,
Dans ses souhaits aventureuse,
N'en fut pas quitte à bon marché !
RAOUL PONCHON
le Courrier Français
6 avr. 1902
Bouteille et Vénus
1933
1933
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