.
Les contes d’Edgard Poë
Mr Barboux * , avocat, va faire paraître prochainement une nouvelle traduction des contes d’Edgard Poë. *
(Journaux)
Je croyais que Baudelaire
Avait déjà traduit Poë
En une langue fort claire
Comme en un style assez beau ;
Respectueux et fidèle,
Il avait - jusqu’au subtil -
Approché le son modèle…
Tout au moins me semblait-il.
Tant il est vrai que ce diable
De Baudelaire était fait
Pour goûter cet autre diable,
Et le traduire en effet
Le cas est même assez rare
D’un poète ayant trouvé
Chez un voisin - un barbare -
Son interprète rêvé.
De sorte qu’on pouvait croire
Qu’il était - cet Edgard Poë -
Des plus superfétatoire
De le traduire à nouveau.
Eh bien, il se trouve un homme,
Maître Barboux que voilà
Avocat que l’on renomme,
Qui ne croit du tout cela .
.
Barboux, qui vient de la Lune,
A cette présomption
De nous gratifier d’une
Meilleure traduction.
Meilleure si ce n’est pire !
Tout est possible ici-bas.
Bien que, s’il la rêvait pire,
Il ne l’entreprendrait pas !
C’est là, certes une idée
Qui ne peut faire caca
Que dans la dévergondée
Cervelle d’un avocat.
Pendant le loisir coupable
Que lui laisse le Palais,
Du moment qu’il est capable
De disséquer de l’anglais,
Barboux ferait mieux peut-être,
Pour ne faire double emploi,
De traduire un autre maître,
Ou bien de se tenir coi ;
Puisque, grâce à Baudelaire,
Nous possédons, par hasard,
Un Edgard similaire
Où l’art le dispute à l’art
Bien que dans le Nouveau Monde
N’est-il pas des auteurs, donc,
En qui le génie abonde,
Et qu’on ne vous traduit onc ?
Non. Barboux n’en veut démordre.
Hou ! Le vilain, qu’il est laid !
Ce membre au Conseil de l’Ordre
Des Avocats - car il est -
Cet ornement du prétoire
A jeté son dévolu
Sur Edgard Poë, qu’à l’en croire
Personne n ‘a jamais lu.
« On les connaît, ces poètes !
C’est bon à versifier.
Quand ils se font inter prêtres
Il ne faut pas s’y fier…
Ce Baudelaire ! Un artiste…
Eh bien, et ce Mallarmé !!!
Car lui aussi. Triste, triste !
Et comme il est bien nommé… »
*
* ...*
O Barboux ! Ou mieux cher maître,
Qui sur Edgard Poë sévis,
Ne veux-tu pas me permettre
De dire ainsi mon avis ?
Malgré toute ta science,
Ton sens qu’on dit délicat,
A mon tour j’ai méfiance
De ton verbe d’avocat.
Tu peux savoir, ma commère,
- Cela se voit tous les jours -
L’anglais comme père et mère,
Ça ne suffit pas toujours.
On a vu de part le monde
Plus d’un avocat brillant,
Malgré toute sa faconde,
Faire tort à son… client !
Car, pour traduire un poète
Surtout d’un tel numéro,
Ça n’est pas trop d’un poète,
O lumière du barreaux !
Mais, voici que je m’arrête
Et qu’un scrupule me vient ;
Mon Dieu que je suis donc bête !
Je ne pense à rien de rien :
Peut-être que Baudelaire,
N’a traduit que Lugné-Poë ? *
Qu’est-ce qu’il me reste à faire ?
A te tirer mon chapeau.
RAOUL PONCHON
le Journal
21 mars 1898
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire