22 oct. 2007

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SUICIDE
de
RAOUL PONCHON
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Ne sais quoi, ni comment * Ces messieurs du parquet dont la cervelle est saine
Sans doute, horriblement ?
M’ayant distribué (le bon Dieu vous le rende
Au centuple, milords !)
Quinze jours de prison et mille francs d’amende,
Je me dis : « Merde, alors !

« Quinze jours de prison et mille francs d’amende !
Pauvre moi, doux Jésus !
Songez donc que jamais vingt centimes d’amende
Sur moi je ne les eus.
« D’autre part, perspectif de la prison m’alarme :
Quinze jours, quinze nuits !
Dans ces conditions, n’attends plus le gendarme,
Fais ta malle et t’enfuis

« Chez d’autres peuples, vers des cités étrangères
Où tu puisses tâter
De juges moins cruels et de mœurs plus légères.
Cela doit exister. »


Pour avoir outragé, dans un article obscène

Je me suis donc t’enfui de façon subséquente,
Avec mon déshonneur ;
Je pris le train express de huit heures cinquante.
Et - voyez mon bonheur -

Au lieu de dérailler, selon son habitude,
Le train me déposa
Loin de mon pays, sous la bonne latitude :
C’est de la veine, ça..

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le Courrier Français - 29 nov. 1891
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C’est quand on est loin que cette France est chère,Qu’on en voit sa beauté,
L’infaillibilité de ses juges, ma chère !
Et leur austérité.
Songeant également que j’avais vu réduire
Mes droits les plus urgents !
Ça qui me désolait plus qu’on ne saurait dire,
Car on sait que les gens

Qui brûlent d’exercer autrement qu’en peinture
Leurs droits de citoyen
Sont précisément ceux-là qui, par aventure,
N’en ont plus le moyen.

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Aussi, déshonoré, honte de mes semblables,
Je résolus, prudent,
De diminuer d’un le nombre des coupables
En me suicidant.
Donc, après avoir mis en dieu mon espérance,
Je pris jour, et voulant
Une dernière fois encor revoir la France,
Je gravis le mont Blanc,

D’où je me laissai choir dans un vide indicible.
Je suis sans doute mort
A l’heure qu’il doit être, à moins - c’est bien possible -
Que je ne tombe encor ?

RAOUL PONCHON

A peine débarqué, je changeai tout de suiteD’allure et de cheveu,
Car déjà les journaux me signalaient en fuite
Mais, où-je étais ? Mon Dieu.
J’étais tout simplement dans la Suisse romande
Avec mon gros péché
Et ma bourse plus plate encor qu’une limande ;
Et là, pauvre miché,
Comme je ne savais rien faire de mes pattes,
Inapte à tout métier,
Je les adoptai tous, sans effort et sans épates :
Et, tour à tour douanier
Je passai des tabacs belges en contrebande ;
Je traduisis Ohnet
En turc, vendis de la camelote allemande:
Dam’ bibi la connaît !
Puis, petit à petit j’étendis mon commerce,
Mon sort s’enjolivait,
Et je vis les écus chez moi pleuvoir à verse
Comme s’il en pleuvait :
De loin en loin j’estropiai des diligences,
Je massacrai des gens,
Italiens, pour la plupart sans importance,
Et pressai leurs argent ;

Car, un crime de plus ou de moins, - me disais-je, -
Au point où j’en étais !
Vous voyez ça d’ici, sans quitter votre siège,
Combien je m’en foutais !
*
* ...*

Pourtant je fus hanté par la mélancolie
Et le nommé remords,
Songeant à mon pays, à l’ancienne folie,
Je souffrais mille morts.

C’est que l’on ne saurait vivre sans la patrie,
- C’est Hugo qui le dis. -
Je n’y pouvais rentrer ma personne flétrie
Et mon être maudit.


Ingrate patrie, tu n'auras pas mon os.

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